Course d'enfer: BMW aux 24 heures du Mans 1998
- Goodstone
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Une jolie surprise se produit le dimanche 18 juin 1995, sur le circuit du Mans à 16h. Une GT s’impose au général au terme de la 63e édition des 24 heures auto. Cette GT est une McLaren F1 GTR pilotée par Yannick Dalmas, J.J Lehto et Masanori Sekiya. Cette supercar modifiée pour être admise en GT1, la catégorie-reine des Grand-Tourisme alors en pleine floraison à cette époque, est dotée d’un V12 d’origine BMW.

C’est certainement ce succès qui a donné des idées du coté du constructeur bavarois, alors solidement présente dans le monde des voitures de tourisme. A partir de 1996 et en parallèle des programmes en tourisme avec les 318i et 320i, BMW s’engage aux 24h du Mans avec deux McLaren F1 GTR. Ces machines aux couleurs officielles (blanc et bleu, le tout sponsorisées par Fina) sont en réalité, exploitées et engagées par le Team Bigazzi, une des meilleures équipes fidèles à la marque allemande en tourisme et menée par Gabriele Rafanelli.
On passe à la vitesse supérieure en 1997 avec une participation dans le niveau championnat officiel de GT, le FIA-GT (prenant le relais du BPR). Avec deux nouvelles McLaren F1 GTR « longue queue » (sensiblement modifiées et plus performantes) dans cette série et aux 24h du Mans, BMW confie l’exploitation des machines à Schnitzer, autre structure fidèle à la marque, les résultats seront au rendez-vous. J.J Lehto et Steve Soper décrochent quatre victoires en FIA-GT et se battent pour le titre face aux Mercedes officielles et une voiture termine sur le podium au général au Mans.
Mais ces jolies performances cachent une certaine déception. Aux 24h du Mans, la seule McLaren « officielle » qui termine est certes troisième, mais elle est devancée par une autre McLaren, celle du GTC Competition. Et la fin de saison en FIA-GT sera rude pour le clan McLaren/BMW/Schnitzer : Mercedes est beaucoup trop forte avec sa CLK-GTR qui est une GT1 giga-radicale.

Conscients que la McLaren a atteint ses limites en termes de performances face aux GT1 plus récentes et peu convaincus des perspectives dans cette catégorie, BMW va prendre une décision radicale en construisant sa propre voiture pour 1998…et préparer son retour au Mans de manière 100% officielle (en plus de préparer son retour en F1 en 2000 également).
Les premiers bruits apparurent durant les 24h du Mans 1997. Mais la surprise principale est que ce nouveau modèle ne sera pas une future GT1 alors que cette classe intéresse de plus en plus de monde, mais un prototype à cockpit ouvert ! Oui, et bien qu’elles soient quelque peu dans l’ombre des GT1 depuis quelques temps, ces voitures sont encore présentes sur les grilles de départ des 24h du Mans. Certes, elles commencent à être rattrapées par les GT1, voire devancées, et bien que la réglementation soit plus contraignante (pas d’aide au pilotage, réservoir d’essence plus petit…), il ne faut pas oublier que c’est un proto ouvert, la Porsche WSC du Joest Racing, qui a remporté les éditions 1996 et 97 dans la Sarthe.
Pour ce nouveau projet, BMW ne sera pas tout seul dans l’histoire. Il est décidé que la voiture sera construite avec l’aide de Williams, la même écurie qui dominait presque tout en Formule 1 dans les années 1990 en plus de s’occuper du programme de la Renault Laguna dans le championnat britannique de tourisme (le BTCC, qu’ils remportent d’ailleurs en 1997) tandis qu’on contacte à nouveau Gabriele Rafanelli (dont son team ne s’appelle plus Bigazzi, mais Rafanelli Racing) pour l’exploitation de la future machine et le fait qu’elle représentera l’équipe officielle. Le programme a véritablement débuté en septembre et on sait déjà que le proto aura le V12 atmo de 6-litres venant de la McLaren F1, mais retravaillé pour se conformer à la réglementation, et que Rafanelli aura également un autre programme en sport-proto avec plusieurs participations en Internationnal Sports Racing Series (ISRS, série réservée aux prototypes ouverts et qui sera gérée par la FIA à partir de 1999) et en IMSA. Sur ce dernier point, on sait que le proto utilisé ne sera pas celle qui courra au Mans et que le moteur sera lui aussi, différent que le V12 (ce sera un V8 de 4-litres, basé sur celui qui est présent sur la Série 8 de route) . Enfin, notons également que la base opérationnelle de BMW Motorsport est localisée en Angleterre (en fait, ce fut déjà le cas dès 1996), à Grove, pas loin du siège de Williams GP.

Après plusieurs semaines sans véritable nouvelle, la toute nouvelle machine, nommée V12 LM, fait ses premiers tours de roue sur l’aérodrome d’Abingdon à la fin du mois de mars 1998. Considérant que Rafanelli ne reçoit que ce proto qu’à cette occasion et que les essais préliminaires des 24h du Mans commencent dans six semaines, le timing est quelque peu serré ! Par la suite, on reverra la V12 LM au Paul-Ricard, à Brands-Hatch et à Snetterton pour de nouveaux essais durant le mois d’avril. Le proto a du potentiel, mais il y’a beaucoup de travail à faire en ce qui concerne la mise au point et la fiabilité.

On retrouve ensuite l’équipe pour les séances préliminaires des 24 heures du Mans, ou les préqualifications Se déroulant au début du mois de mai, soit un mois avant la grande épreuve, il y’a deux V12 LM engagées. Commençons par parler du proto au look assez conventionnel. C’est une machine plutôt bien travaillée et courte en termes de longueur par rapport à la plupart des LMP. Conçue sous la houlette de John Russell (pour Williams, assisté de Patrick Head et Jason Sommerville) et de Christoph Schausberger (pour BMW), la V12 LM est dotée d’un diffuseur à l’avant même du proto et le refroidissement provient de cette partie-là. Le châssis est en carbone et la coque construite par G-Force l’est également. Pour la partie mécanique, la boite de vitesses séquentielle à 6 rapports d’origine Xtrac est installée de manière transversale tandis que les freins en carbone proviennent de chez Carbone Industrie.
Quant au V12 atmo (installé en position central-arrière), la cylindrée n’a pas changé (5990cc), mais BMW a été sensiblement retravaillé pour l’adapter au proto. Il a perdu une vingtaine de kilos, est plus compact et se montre plus souple qu’auparavant. Alors qu’il crachait 600 chevaux sous la McLaren F1 GTR, ce bloc voit sa puissance limitée à 550 chevaux pour se conformer au règlement et l’ajout de restricteurs. Pour les pneus, BMW a choisi Michelin

Pour les pilotes, on a globalement misé sur l’expérience et la confiance des fidèles de la marque. La numéro 1 est confiée à Steve Soper, au très expérimenté Hans-Joachim Stuck (après avoir été pendant longtemps pilote Porsche) et à Tom Kristensen, l’un des vainqueurs en titre dans la Sarthe. La numéro 2 sera pilotée par deux pilotes « maison », à savoir Joachim Winkelhock et Johnny Cecotto et seront accompagnés par Pierluigi Martini.
Et la concurrence ? Elle est fournie, très très fournie même. On avait un petit aperçu en 1997, mais le plateau ’98 est délicieux ! Commençons par les prototypes où nous avons les Porsche WSC / Joest désormais officielles et modifiées par le constructeur allemand , les Courage dotées du moteur Nissan (pour deux des quatre voitures), les Ferrari 333 de chez JB Racing, Doyle-Risi, Michel Ferté et du Moretti Racing, une Riley & Scott ou encore les bonnes vieilles Kremer-Porsche..Mais c’est surtout en GT1 que BMW devra se méfier car Mercedes, Nissan, Toyota, Porsche, Panoz et dans une moindre mesure les McLaren F1 GTR (de chez GTC) sortent le grand jeu et il est fort probable que ces machines qui n’ont désormais plus grand-chose de GT sauf le nom, écrasent tous les prototypes ouverts..

Les préqualifs’ se passent sans souci pour les deux BMW. Elles obtiennent leur ticket pour les 24h sans difficulté et les V12 LM fait partie des voitures les plus véloces dans la catégorie Prototype. En cumulant les meilleurs chronos, la #2 obtient le onzième temps absolu et la #1 est plus loin, avec le vingtième temps. Parmi les protos, la meilleure BMW est devancée par la Ferrari 333 du JB Racing et le potentiel de la V12 LM semble intéressant. Toutefois, les GT1 ont signé de meilleurs chronos et la Porsche 911 GT1 d’Allan McNish était plus rapide de plus de quatre secondes sur la meilleure BMW (3 :37 : 687 contre 3 :41 :410).
Sauf surprise, on voit mal la victoire échapper à une GT1. Encore toutes neuves (surtout que l’un des deux châssis n’a que très peu de kilomètres avant ceci) et pas encore au point, les barquettes blanches ont toutefois montré un potentiel plus qu’intéressant. Reste qu’il y’aurait quelques soucis à résoudre sur la V12 LM comme l’appui à l’avant qui serait trop léger.

Une fois passée ces préliminaires, les BMW limeront le bitume sur le circuit du Paul-Ricard quelques semaines après. Et durant ce mois de mai, Rafanelli en profite également pour s’ « échauffer » sur une manche en ISRS, à Brno, en engageant deux Riley & Scott MkIII à moteur BMW V8, le tout sous le nom et les couleurs officielles de la marque ( !).
On arrive au début du mois de juin et c’est le début des festivités pour la 66e édition des 24h du Mans. Les deux V12 LM sont bel et bien présentes au pesage et elles ont fait l’objet de quelques changements. Pas grand-chose a été trouvé sur le net ou dans les archives étant donné que BMW était plutôt avare en informations sur ce point (comme Mercedes, ou Toyota). Le refroidissement de la voiture a été amélioré dans l’ensemble et les freins Carbone Industrie ont été remplacé par ceux de chez AP Racing. Hormis ceci, on apprend également que les protos allemands font partie des protos les plus lourds sur cette édition, avec 915kg pour la #1 et surtout, 930kg pour la #2 (le plus élevé), la où la moitié des autres protos pèsent juste en dessous des 900kg.

Sur le papier, l’équipe BMW Motorsport (avec Rafanelli) parait sérieuse et bien préparée. Mais face à d’autres géants (parfois plus expérimentés, comme Porsche) également présents dans cette épreuve, il va etre difficile de se faire une place au soleil, surtout avec une machine répondant à une classe quelque peu défavorisée par une autre (les GT1). Et puis, on ne sait pas trop qui fait quoi entre BMW, Williams et Rafanelli, les rôles semblent quelque peu flous…
Après quelques débuts quelque peu délicats durant la première séance d’essais, avec la #2 qui démarre avec peine et un comportement imparfait sur la #1, tout s’arrangera rapidement par la suite et les V12 LM seront les meilleures représentantes de la catégorie prototype. Les bons réglages semblent être trouvés durant la deuxième séance et Pierluigi Martini place la #2 au sixième rang sur la grille de départ, en 3 :38 :829 (meilleure des LMP) tandis que Kristensen hisse la #1 à la douzième position, en 3 :41 : 599. C’est pas mal, mais les GT1 sont décidément trop performantes. La Mercedes CLK-GTR de Bernd Schneider a signé la pole en 3 :35 :544…Mais attendons la course.

Le début de l’épreuve commence bien dans le clan BMW. Martini prend un bon départ en s’emparant de la troisième place, et se bat avec les Toyota GT-One de Thierry Boutsen et de Keishii Tsuchiya, la Mercedes de Jean-Marc Gounon ainsi que les deux Porsche 911 GT1. Elles seront bientôt rejointes par Kristensen qui revient progressivement sur le peloton menée un moment par Martini qui perdra des positions par la suite. Pour le moment, les barquettes allemandes sont les meilleures représentantes des protos ouverts.
Le premier incident arrive à la fin de la toute première heure de course. Martini touche la Courage d’Olivier Thévenin qui part en travers à Indianapolis. Le pilote italien ne peut éviter un second contact avec la Courage et la partie avant de la #2 est à réparer. Elle chutera logiquement au classement en pointant hors du top-25.

La deuxième heure sera pratiquement sans histoire, la #1 maintient son rang à la septième position, en bataille avec les Nissan R390. Pendant ce temps, la voiture-sœur rattrape le temps perdu. Mais Martini part à la faute à Mulsane. S’il repart rapidement, on suspecte un potentiel souci sur cette voiture. Elle rentrera d’ailleurs un moment au garage pour un problème de roue semble-t-il. En fait, les pilotes des deux barquettes commencent apparemment à se plaindre de vibrations au delà d'un certain rythme.
Et puis, peu après 18 heures, et alors qu’on entamait la quatrième heure de course, la #1 rentre au stand pour rejoindre son garage. La #2 en fera de même juste après. Que ça soit l’une ou l’autre V12 LM, il y’a un problème de vibrations dans les trains roulants et cela est dû à perte de graisse dans les roulements. L’équipe préfère ne pas continuer après que ce souci a été détecté. Les conséquences auraient été potentiellement fâcheuses conséquences comme une roue (ou plusieurs) qui peut se bloquer à tout moment sur la piste.

Les 24h du Mans s’arrentent ici pour BMW Motorsport. La #1 aura bouclée 60 tours, contre 43 boucles pour la #2. En l’espace de cinq heures d’épreuve, on aura perdu Mercedes et BMW dans la course ! Inutile de préciser que ce fut la soupe à la grimace dans le camp du constructeur bavarois, qui pourrait presque se consoler en voyant une McLaren F1 GTR (celle du GTC Competition), doté du V12 BMW, terminer quatrième au général au terme de l’épreuve. Peu de temps après cette déroute, on apprend que la V12 LM était loin d’être correctement optimisée d’un point de vue aérodynamique, et son refroidissement n’était efficace qu’à des températures précises à l’air.

Retenant les leçons de cet échec, BMW retournera au Mans l’année suivante, en 1999. Mais de nombreux changements interviendront dans l’organigramme, et le proto toujours construit par Williams n’aura pratiquement plus rien à voir avec celle de ’98 dont les deux châssis construits seront revendus au Team Goh et à Thomas Bscher qui utiliseront celles-ci pour 1999. Pour exploiter la nouvelle barquette, on revient frapper à la porte de Schnitzer. La suite, on la connait, la V12 LMR aura une destinée différente dans la Sarthe…

Liens/ sources
Archives Auto-Hebdo.
Circuit Magazine, numéro 7: Spécial 24h du Mans, juillet-aout 1998
Option Auto, Hors-Série Programme officiel 24h du Mans 1998

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