Nissan voulait revenir officiellement aux 24 heures du Mans d'une manière et démarche originale, mais en dépit de la grosse comm' et de ses objectifs, ce fut un ZEOD pointé ou presque sur la piste...
Depuis 2012, les 24 heures du Mans accueillent une voiture admise en catégorie appelée « Garage 56 ». Cette classe très spéciale permet aux machines technologiquement innovantes ou autres idées originales de participer à la classique mancelle hors-classement. Depuis, le succès de cette formule est un peu mitigé (projets non-aboutis, conduisant à des forfaits, d’où l’absence de Garage 56 sur certaines éditions, exemple la Green GT en 2013) mais le potentiel de certaines qui ont pu courir étaient intéressantes, on pense à la participation du Sausset Racing Team en 2021 qui faisait courir des pilotes en situation d’handicap.
Mais parlons de la toute première Garage 56 admise au Mans en 2012. C’était la Deltawing à moteur Nissan. Mais si, vous connaissez certainement ce proto original (et qui ressemble presque à un tricycle, mais il y'a bien quatre roues à l'avant) qui a connu un succès auprès du public et qui a effectué une prestation honorable avant d’être jetée hors de la piste par la Toyota de Kazuki Nakajima, causant son abandon en début de soirée malgré les efforts de Satoshi Motoyama pour retaper la voiture sur la piste.
Cette bizarrerie crée par Ben Bowlby a une histoire originale. A la base conçue pour l’Indycar à partir de 2012, la Deltawing est recalée car trop radicale et c’est Dallara qui est choisi pour fournir les châssis. A défaut de la voir aux 500 miles d’Indianapolis, la machine va s’aventurer en endurance et plus précisément en American le Mans Series (ALMS) ainsi qu’au Mans justement. Plusieurs noms bien connus vont soutenir ce projet : Chip Ganassi Racing, Panoz qui s’est « approprié » le projet, Highcroft Racing (pour l’exploitation) et enfin Nissan qui va apporter une assistance technique et plus que ça…
Son apparition dans la Sarthe en 2012 a visiblement donné des idées au constructeur nippon, qui était présent dans cette mythique épreuve dans les années 1980 à 1999 avant de revenir comme motoriste en 2011 pour les équipes présentes en LMP2.
En début d’année 2013, Nissan ne soutient plus le programme de la Deltawing/ Panoz (qui continuera en ALMS avec des fortunes diverses) et annonce dans la foulé (via Carlos Ghosn, alors PDG de Renault-Nissan) son retour officiel au Mans pour 2014 en tant que voiture du Garage 56. Un choix curieux et original, d’autant que cette future machine sera apparemment « excentrique » et utilisera une motorisation électrique, et il faut bien préciser que tout ceci n'est qu'un prélude à un réel retour en 2015 en LMP1.
Et effectivement, quand la future machine est dévoilée en marge des 24h du Mans 2013, celle-ci est bel et bien décalée :
Dotée de quatre petites roues à l’avant (à l’instar de la Deltawing), d’un poids-plume (un peu moins de 700 kg à peu près) et de dimensions plutôt réduites, la machine inédite de chez Nissan nous fait penser à la Deltawing. C’est normal car le Ben Bowlby, qui est passé chez le constructeur nippon (à la base engagé en tant que consultant), qui est à l’origine de la conception de ce proto. Bien qu’utilisant certainement des éléments à la machine américaine, le cockpit de chez Nissan est fermé.
Celle que l’on nomme ZEOD RC sera également pourvue d’un bloc électrique et thermique, on aura donc affaire à une voiture hybride mais qui pourra rouler brièvement en full-électrique sans émettre d’émissions, d’où son nom « ZEOD RC » comme « Zero Emission On Demand - Race Car ».
Passé cette semi-originalité, on s’attendait quelque peu à un truc plus grandiose ou ambitieux (le système hybride est déjà présent sur les LMP1 d’usine, les restrictions en moins. Cela dit pas évident de tourner en full électrique uniquement...), le projet de la ZEOD RC ne démarre pas très bien. Panoz accuse Nissan (et Bowlby) d’avoir copié le concept de la Deltawing et intente même une plainte contre le constructeur nippone en réclamant la propriété intellectuelle du concept en lui-même. Nissan ne réagit pas aux attaques de Don Panoz et Bowlby clame que la Deltawing est un projet « open source ». En attendant, Nissan poursuit sa route et la version définitive de la ZEOD est présentée quelques mois plus-tard.
La forme a légèrement changé, on note principalement la présence de prises d’air sur la machine afin de refroidir plus facilement le moteur thermique et électrique ainsi que les batteries.
En parlant de moteur, on ne le saura qu’en début d’année 2014, mais le bloc thermique est original : il s’agit d’un 3-cylindres d’1,5 litres très compact produisant environ 400 chevaux avec l’ajout d’un turbo. Compact oui car le bloc ne fait que 40cm de longueur et 20 de largeur ! Encore plus fort, le moteur ne pèse que 40 kg sur la balance ! En plus de ceci, deux petits moteurs électriques vont propulser le proto et l’ensemble est en position central-arrière. La voiture a fait ses premiers tours de roue sur le circuit de Fuji en octobre 2013 aux mains de Michael Krumm. L’objectif pour le Mans ? Capable de boucler un tour complet en mode 100% électrique tout en étant capable d’atteindre les 300 km/h. Le projet et le développement sera assuré par la branche compétition de Nissan, Nismo, sous la houlette de Darren Cox. Michelin fournira les pneus spécifiques pour la ZEOD (comme ce fut le cas avec la Deltawing) et Total soutiendra également le programme. Enfin, la voiture sera dotée d’une transmission maison à cinq vitesses.
Passé ces annonces, les nouvelles se font rares durant l’hiver. La ZEOD effectue ses premiers véritables essais grandeur nature sur le circuit de Snetterton à la fin du mois de mars 2014. Wolfgang Reip, Lucas Ordonez et Thomas Erdos. Si apparemment, tout s’est bien passé, il semblerait que la mise au point soit laborieuse au point que certaines rumeurs parlent d’un forfait. Il n’en est rien et on verra bien la ZEOD participer à la 82e édition des 24h du Mans sachant que le constructeur japonais ne manquera pas de faire de la pub en continu sur sa ZEOD et son engagement au Mans…
Coté pilotes, Nissan fait confiance aux pilotes « maison », à savoir Lucas Ordonez, Wolfgang Reip (tous deux issus également de la GT Academy) et enfin Satoshi Motoyama. Après quelques nouveaux tests (comme au Paul Ricard), rendez-vous en juin pour la grande aventure.
La ZEOD pose ses roues dans la Sarthe pour la première fois lors de la journée test qui avait lieu deux semaines avant la grande épreuve. Reip et Thomas Erdos seront au volant de ce presque-tricycle radical. La prestation de ce proto aura été plutôt discrète avec douze tours couverts, nettement moins que la concurrence. Le meilleur chrono enregistré est un 3 :52 :574, un temps un peu décevant car sept secondes derrière les LMP2 les moins rapides (on s’attendait à la voir un peu au niveau de ces protos) et cinq devant les GTE.
Les premières séances officielles seront chaotiques : la ZEOD ne rencontrera que des soucis liés à la transmission ou dans une moindre mesure, à la surchauffe des batteries. Conséquence, les pilotes n’auront que (très) peu tourné durant ces multiples séances : aucun dans les essais libres, un seul durant la première séance de qualifications, neuf lors de la seconde…Pas de souci chez Nissan, on reste positivement optimiste et on continue la comm’ sur la ZEOD. Au moins on espère la voir tourner en mode électrique dans les Hunaudières...
La troisième sera un peu plus convaincante avec 21 tours bouclés et Ordonez effectue un chrono (en hybride évidemment) en 3 :50 :185. Un temps qui la place entre les LMP2 et les GTE (ces dernières sont à peine moins lentes) et surtout, la ZEOD a atteint les 300 km/h dans les Hunaudières grâce à Satoshi Motoyama.
Et ce n’est pas fini, le moment de « gloire » pour la ZEOD arrive au warmup : Wolfgang Reip a roulé en mode full-électrique pendant un tour complet. On sabre le Champomy chez Nissan, l’objectif principal est accompli, même si le chrono est bien au-delà des 4 minutes, la faute apparemment au trafic et à un petit souci rencontré (mode sécurité enclenché selon Reip).
Bon sinon, et l’épreuve des 24 heures dans tout ça ? Eh bien…après cinq tours effectués (et une grosse vingtaine de minutes de course), Reip est arrêté sur la piste : boite de vitesses cassé et premier abandon enregistré. C’est déjà finito, game-over, terminado ou 終わっ...
On peut vraiment sourire à sa prestation, mais pour pas mal de fans et de spécialistes, ce programme sent quelque peu l’esbrouffe avec ce proto innovant mais pas trop et qui n’aide en rien à la crédibilité du Garage 56. Ces 24h du Mans seront la seule participation de la ZEOD RC en compétition.
Pour Nissan, on s’en fiche de l’abandon express de la course, la voiture a réussi à tourner sans avoir utilisé le bloc thermique et ça c’est unique. Assez en tout cas pour que la marque nippone soit motivée pour retourner en endurance et au Mans, cette-fois en LMP1-H en osant affronter Porsche, Audi et Toyota. Il parait même que le futur proto est original, pour le meilleur ou pour le pire ?
Fiche-auto:
Moteur: un thermique 3-cylindres de 1500cc plus deux bloc électriques
Aspiration: turbocompressé (pour le bloc thermique)
Position: central-arrière
Puissance moteur thermique: environ 400 chevaux à 7500 tr/min
Chassis: monocoque en fibre de carbone
Boite de vitesses: séquentielle 5 vitesses
Transmission: arrière
Poids: +/- 700 kg
Pneumatiques: Michelin
Liens/sources:
Autosport, Racecar Engineering, Leblogauto, Motorsport, Endurance-Info, les24heures.fr, Dailysportscar...
Le Mans Racing Magazine, spéciale 24h du Mans 2013.
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