Bien avant sa présence actuelle sur la grille de départ avec Fernando Alonso et Esteban Ocon, le nom d’Alpine en Formule-1 apparaissait déjà dans les années 1960…enfin presque : le projet n’est jamais arrivé à son terme bien que la monoplace a été construite.
Revenons en arrière, la petite marqué crée par Jean Redélé est engagée sur pas mal de disciplines au milieu des années 1960. Des spéciales de rallye avec l’A110 en passant par l’endurance avec les M65 ou A210, le petit constructeur basé à Dieppe est également présent en monoplaces depuis 1964. Du moins, en Formule 2 et F3…
En Dehors de ce programme sportif très chargé (ou trop pour une structure comme Alpine ?), les résultats en F2/F3 justement, sont plutôt moyens en dehors de l’hexagone malgré les qualités du moteur Gordini, mais ça restait insuffisant face au bloc Cosworth. Plutôt que de se contenter de ceci, Rédelé a une autre idée : pourquoi ne pas aller en Formule 1 ?
Le projet a démarré à la fin de l’année 1967. Ça tombe bien, c’est à cette période où Alpine connait plusieurs choses : d’abord celle-ci deviendra à partir de 1968, le département compétition de Renault (surtout en rallye), les deux entités sont d’ailleurs déjà associées depuis 1965 et la marque au losange aura progressivement la main mise sur le programme sportif par la suite. Ensuite, le pétrolier Elf, désireux de s’aventurer en F1 également, soutiendra le projet d’Alpine. Enfin, les programmes en rallyes en en endurance ne sont pas abandonnés, bien au contraire : l’A110 est toujours de la partie dans les spéciales et un nouveau proto aura pour objectif de se mêler à la victoire générale aux 24h du Mans, l’A220…Autre information : Alpine ouvre une nouvelle usine située à Thiron-Gardais (Eure et Loir) pour la fabrication des carrosseries.
Dans le même temps, Alpine connait également une mauvaise nouvelle courant 1967: la marque n’obtient pas le prêt gouvernemental (via le premier ministre de l’époque, Georges Pompidou) d’à peu près six millions de francs afin de soutenir un constructeur local capable de briller en compétition, notamment en F1. Tout ceci ira à une autre marque : Matra. C’est un coup assez rude pour Rédelé (qui, avec toutes ces nouvelles citées au-dessus, rencontrera quelques soucis d’argent) et sa troupe qui devront se débrouiller quasiment tous seuls pour leur programme F1. Oui, car Renault n’est pas motivé pour accompagner et soutenir Alpine dans l’histoire. Il faut également noter que la marque au losange a un temps projeté de se lancer en F1 également quelques années auparavant (1963), mais celle-ci a préféré ne pas se risquer de se casser la figure là-bas.
En attendant, la construction de la future Alpine de F1 commence et pour le moteur, on choisit un bloc inédit : un V8 de 3-litres conçu par Gordini. Il a déjà tourné fin-67 sur un proto Alpine A210 modifiée pour l’occasion (l’A211), avec des résultats mitigés faute de mise au point et de temps. Notons également que ce moteur sera également utilisé pour la future A220 dans le championnat de sport-prototype (incluant le Mans).
Pour la monoplace, celle que l’on nomme A350, conçue par Richard Bouleau principalement, a la caractéristique d’avoir un châssis tubulaire comme bon nombre d’autres machines de F1 à cette époque. Mais l’A350 cache quelques points plus qu’intéressants, notamment en ce qui concerne le travail des suspensions. L’équipe de Bouleau a conçu un système original de suspensions type pendulaire, « à plat ». C’est-à-dire que les deux cotés sont exactement reliés et améliore sensiblement le comportement de la monoplace sur la piste, le roulis a d’ailleurs en grande partie disparu. Autre particularité, contrairement aux autres F1 de l’époque qui utilisaient des pneus Goodyear, Dunlop ou encore Firestone, Alpine fera confiance à Michelin qui apportera des pneus radiaux inédits. Pour la firme basée à Clermont, ce seront également les grands débuts en F1, normalement…
Les premiers essais de l’A350 se déroulèrent en avril 1968 sur le circuit de Ladoux (à Clermont-Ferrand), soit la piste d’essai de Michelin. Pilote Alpine en endurance et en Formule 2 & 3, Mauro Bianchi (frère de Lucien, grand-père de Jules) est chargé des premiers tours de roue de la monoplace.
Par la suite, les tests continueront notamment sur le circuit de Zolder et de Zandvoort. L’A350 n’est pas 100% au point, la direction de la voiture était apparemment prise en défaut. Toutefois, Bianchi et l’équipe vantaient le fait que le comportement et la tenue de route de la monoplace sont excellents.
Mais l’A350 a un handicap : le moteur V8. Pas suffisamment au point ni encore fiable, le bloc compact conçu par Gordini est de conception trop « classique » et souffre d’un certain manque de puissance : 310 chevaux. Pas mal sur le papier mais le Ford-Cosworth (qui équipe Les Lotus notamment) affiche plus de 400 ch. Certes, la tenue de route phénoménale de la machine compense en partie ce défaut, mais ça ne suffira pas sur des tracés ultra rapides comme à Monza par exemple.
Malgré ceci, Alpine croit à son projet et on envisage de faire débuter l’A350 au GP de France, sur le circuit de Rouen-Les Essarts qui aura lieu en juillet. Sauf qu’il n’y aura jamais de GP disputée pour l’équipe et la voiture. Renault, visiblement au courant du projet, ordonne à Alpine de tout stopper. La marque ne veut pas voir son nom associé au programme Alpine en F1, certainement par peur d’entacher son image en cas d’échec, ce qui est en partie justifié au vu des faiblesses du V8 Gordini. De plus, le fait que ce moteur soit trop éloigné de la série selon Renault est un argument supplémentaire au manque d’intérêt de ce programme. Tant pis pour Alpine, pour Rédelé, pour Mauro Bianchi ou pour Elf…
Dans l’absolu, le fait que le gouvernement alloue le budget à la marque « rivale » Matra a rendu les choses compliquées pour Alpine, plus encore que Renault qui ne voulait pas s’impliquer. En combinant cela au fait qu’Alpine est également dispersé sur d’autres fronts, le programme aurait été délicat à gérer.
L'A350 est ensuite détruite à la demande de Renault, afin de dissuader Alpine de continuer à développer la monoplace en secret. Elle a été notamment découpée avec un chalumeau. Par la suite, la marque continuera toujours de garder un pied en monoplace, enfin, en Formule 2 et 3.
On retrouvera Alpine en F1 quand Renault compte enfin s’engager dans la catégorie-reine de la monoplace…en 1975. Durant toute l’année 1976, la marque au losange teste une monoplace dotée d’un moteur turbocompressé, la Renault-Alpine A500. Lors de ses débuts officiels l’année suivante, le nom d’Alpine (désormais totalement intégré dans le groupe Renault) disparait, et la nouvelle machine qui courra en GP se nomme Renault RS01.
Liens/sources:
L'Aventure Automobile, Hors-série Alpine: le sang bleu, 2018
K.N
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