Allons faire un tour en Formule 1 et plus précisément en 1977 : alors que Niki Lauda s’envolait vers un second titre mondial au volant de sa Ferrari, une modeste écurie privée tentait tant bien que mal à s’engager sur un meeting avec des moyens limités et une voiture plus qu’obsolète. Dans cet article, nous allons nous intéresser à l’Apollon Fly, monoplace qui a tenté de se faire une place sur la grille de départ d’un grand-prix, sans succès…
Né dans le Tessin, Loris Kessel est un pilote un peu particulier dans le monde du sport-automobile : mi- professionnel et mi- gentleman driver, ce qui ne l’a pas empêché de participer à quelques manches de F1 au milieu des années 1970.
Mais faisons un petit retour en arrière : ayant véritablement débuté dans le monde du sport-auto en 1970 à l’âge de 20 ans, le jeune Loris monte petit à petit en grade jusqu’à rejoindre les plateaux du championnat italien de Formule 3 en 1973, puis plusieurs courses en Formule 2 à partir de l’année suivante. Les résultats sont globalement modestes, ce qui ne l’empêcha pas de végéter dans ces catégories durant trois saisons, plus une participation occasionnelle dans le monde de l’endurance (Interserie, championnat mondial des voitures de sport) en 1975. En fait, Kessel bénéficie surtout du soutien de sponsors locaux, à l’instar d’Ambrozium et des montres Tissot, ce qui lui permet de continuer à végéter dans le peloton des formules inférieures.
Ca RAM à bloc
C’est justement sur ce point que quelques équipes privées ou désargentées de Formule 1 s’intéressent au cas du jeune pilote suisse malgré son palmarès relatif jusqu’alors. Avec l’aide de Tissot, Kessel va débuter dans la catégorie-reine en 1976 au sein de l’équipe RAM Racing qui effectuera également ses débuts. La particularité de ce team est qu’il ne construit ni châssis ni moteur, finances oblige. Elle va donc utiliser des (vieux) châssis de F1 d’anciennes équipes. Et oui, c’était autorisé à l’époque, sachant que s’ils arrivent à inscrire des points avec ces machines, celles-ci ne reviendront pas à RAM, mais aux constructeurs officiels de châssis, à savoir Brabham ou Williams, puisque RAM utilisera deux modèles différents pour la saison à venir. Vous trouvez ça complexe ? Pas grave, ce n’est pas notre sujet…
Revenons à nos moutons : Kessel effectue ses débuts en F1 lors d’un grand-prix hors-championnat à Brands-Hatch, en plein mois de Mars. Manque de bol, le moteur Ford-Cosworth de la Brabham casse en pleine course. Le suisse fera ensuite ses débuts en championnat deux mois plus tard à partir du GP d’Espagne. Mais après deux non-qualifications et 2 prestations anonymes en course, il est initialement remercié au soir du GP de France…pour ensuite revenir en Autriche, puis en Italie (avec un châssis Williams), toujours avec RAM après que le suisse ait intenté un procès à l’encontre du team après ne pas avoir perçu d’indemnités lorsque l’écurie britannique voulait le virer. Résultat : Kessel arrive avec des huissiers à la veille du GP d’Allemagne et ces derniers confisquent tout le matériel de RAM, qui doit déclarer forfait pour ce meeting. Bon, tout s’est bien terminé apparemment puisque Kessel est retourné chez RAM pour deux autres GP (avec une autre non-qualif’) sans encombre.
A la fin de l’année, le jeune suisse se retrouve sans volant…mais toujours avec de l’argent et accompagné de son fidèle sponsor Tissot. Et là, pourquoi ne pas créer sa propre équipe pour 1977 vu que personne ne le contacte ? Et c’est ainsi qu’une nouvelle aventure est née…
Créer une équipe, c’est aussi de l’art…
Pour cela, il va demander à Tissot de soutenir son projet, chose acceptée sans problème. Ensuite, il contacte le Jolly Club, équipe italienne bien connue dans le monde du rallye, de lui prêter main forte en termes de main d’œuvre et de financement. Notez que ce n’est pas la première fois que cette équipe est impliquée en F1, ce fut déjà le cas en 1971 en soutenant celle du suisse Silvio Moser. Enfin, Kessel va acheter une Williams FW03 et la bricoler afin de la rendre un poil plus compétitive. On a les ingrédients de base, manque plus que l’enrobage…
Premièrement, le pilote suisse va baptiser son team « Apollon », petite référence au dieu grec des arts, des chants, de la musique et de la lumière. Mais point de passion envers la mythologie grecque pour Loris Kessel, car Apollon est également une entreprise pharmaceutique, d’où le nom de ce dieu comme appellation de l’équipe.
Voilà qui va un peu rassurer Kessel coté budget en plus de l’assistance du Jolly Club. Maintenant, il reste à parler de la monoplace, et c’est là que survient un problème : la FW03 acheté date de …1974, soit trois ans ! Et vu que cette Williams FW03 initialement née Iso-Marlboro n’était déjà pas une foudre de guerre aux mains de divers pilotes (Arturo Merzario ou Jacques Laffite pour les citer), la voir un minimum compétitive en 1977 relève de l’illusion.
Pour autant, la monoplace initialement conçue par John Clarke sera sensiblement modifiée pour essayer de la rendre au moins dans le coup. Pour cela, Kessel contacte l’ingénieur italien Giacomo Caliri pour les modifications. Au menu : une carrosserie entièrement modifiée, nouveaux radiateurs (installés au niveau des roues avant) et aileron avant redessiné. Coté moteur, ce sera le fameux V8 Ford-Cosworth DFV qui propulsera la machine, comme ce fut le cas quand cette dernière courait sous la bannière de Williams.
Enfin, la voiture s’appellera « Apollon Fly », enlevant toute référence (ou presque) au nom initial de Williams FW03, comme ça, on montre bien aux gens qu’il s’agit d’une monoplace entièrement inédite, mais parmi les spécialistes de l’époque, personne n’est dupe…
Les débuts sont programmés pour le GP de Belgique sur le circuit de Zolder, septième manche du championnat 1977 de F1, en juin. L’équipe Apollon sera engagée sous le nom du Jolly Club Switzerland.
I believe I can't Fly
Et nous voici sur le circuit de Zolder pour voir les débuts d’Apollon, jeune structure montée par Loris Kessel et on espère qu’elle sera dans le coup…ah ben non : elle doit déclarer forfait car l’équipe aurait rencontré des problèmes de transport et ne peut arriver à temps, ou alors la Fly n’était toujours pas prête ou entièrement finalisée, qui sait. Prochaine étape : le circuit Paul-Ricard en France, un mois plus tard. Non, fausse alerte, Apollon n’est toujours pas disponible. Idem en Autriche et au Pays-Bas. Décidément, l’Apollo semble avoir du mal à prendre son envol…
Finalement, on verra l’Apollo en action qu’à partir du GP D’Italie, sur le circuit de Monza, en plein mois de septembre. Pas sûr que ça soit l’endroit idéal pour véritablement étant donnée la nature rapide du tracé et surtout du nombre d’engagés pour ce meeting : 34 voitures pour 24 places sur la grille, les places vont être très chères.
Avec leur vieille Williams rebadgée (disons-le), les chances de voir l’Apollon Fly sur la grille de départ sont minces, d’autant plus que c’est Loris Kessel lui-même qui la pilote. Un pilote moyen dans une voiture techniquement dépassée (malgré des modifications), la recette miracle marchera-t-elle ?
Mais d’abord, jetons un coup d’œil sur les voitures/équipes en concurrence avec Kessel. Commençons par les Hesketh qui arpentent le fond de grille depuis un an et qui luttent pour la qualification dans pas mal de meetings cette saison. Idem pour les March officielles ou pour la voiture privée appartenant à l’équipe de Franck Williams (qui a loué un de leurs châssis pour 1977), l’écurie BRM, quoiqu’agonisante, est de la partie avec Teddy Pilette. Enfin, citons quelques autres équipes comme Surtees, Boro ou Ensign parmi la concurrence, ou encore quelque privées avec une McLaren M23 pour Emilio de Vilota. Si on fait le compte, ça fait une bonne dizaine de voitures qui vont lutter pour la qualif’ !
Pour cette fameuse séance, Kessel aura fort à faire face à ce joli monde, et « découvrant » la monoplace qu’à cette occasion, les chances sont plus que minimes…et la galère commence : trop lente en lignes droites, trop dépassée, et le pilote pas assez expérimenté, l’Apollon Fly conduite par le jeune suisse échouera à se qualifier, en signant un temps en 1min46 et 680 millièmes, à plus de huit secondes de la McLaren de James Hunt, auteur de la pole-position. Pire, Kessel est trois secondes derrière son poursuivant, la Surtees de Hans Binder, lui-même non-qualifié. Au moins, l’Apollon a réussi à se classer devant une autre voiture, la Brabham-Alfa officielle ( !) de Giorgio Francia, qui débutait également ce jour-là…
Après cette désillusion, c’est déjà la fin pour Apollon : le Jolly Club retire son soutien, et comme la Fly, même bricolée, est trop vieille pour pouvoir espérer se qualifier aisément sur une grille de départ, Loris Kessel préfère sagement arrêter les frais. Apollon n’aura dansé qu’un weekend…
Après cette brève aventure, Kessel se retire temporairement des circuits pour mieux revenir en 1981 en Formule 2, puis définitivement en endurance à partir de 1983 à diverses échelles (Interserie, WSC, Le Mans…).
A cette même période, il fonde une concession automobile à Lugano, ainsi qu’un atelier de restauration d’anciennes voitures. Il deviendra l’une des concessions renommées de Suisse par Ferrari.
En 2000, il recrée sa propre équipe en sport-auto : Kessel Racing. Toujours avec Loris himself, elle arpentera les courses du championnat italien de GT, puis en GT-Open et même les meetings historiques de F1 en rachetant une Ensign de 1977, toujours avec son vaillant fondateur jusqu’à son retrait des compétitions en 2008. Il décédera malheureusement d’une leucémie en 2010, à l’âge de 60 ans. Mais son héritage demeure toujours intact : en 2019, ses concessions automobiles, son atelier de restauration (réunis sous Kessel Auto) perdurent, de même pour que le Kessel Racing (dirigé par son fils, Ronnie)qui est toujours présent sur la scène de l’endurance !
Caractéristiques voiture :
Il s’agit d’une Williams FW03 (née Iso-Marlboro) de 1974, modifiée par Giacomo Caliri et rennomée Apollon Fly
Moteur: Ford-Cosworth DFV V8 2993cc
Aspiration: atmosphérique
Implantation: central-arrière
Puissance: 450-460 chevaux à 10 800 tr/min
Couple : 370 Nm à plus de 7000 tr/min
Châssis : Monocoque, en aluminium
Boite de vitesses : Manuelle, à 5 vitesses
Transmission : aux roues arrière
Poids : 580 kg
Résultat en compétition :
A couru officiellement sous le nom du Jolly Club Switzerland
Apollon est fondé par Loris Kessel en 1977
Non-qualifié au GP d’Italie
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