Lotus 43 BRM (1966-67)
- Goodstone
- 7 avr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.

A la fin de l’année 1965, le Team Lotus remporte le titre pour la deuxième fois de son histoire en Formule 1, après avoir remporté six victoires sur les dix manches du championnat. Le succès ? Une voiture efficace avec la Lotus 33 à moteur V8 Climax et menée par Jim Clark qui décroche également son second titre. Ailleurs, c’est également un succès aux 500 miles d’Indianapolis, encore une fois grâce au pilote écossais qui imposera pour la première fois dans cette épreuve, une monoplace à moteur arrière.
Mais cette fin d’année est également marquée par un changement dans la réglementation de la F1. Après cinq saisons passées avec des moteurs de 1500cc, on passe la limite maximale à …3000cc dès 1966. On cherche désormais à rendre (ou plutôt, retrouver) les monoplaces plus rapides, plus spectaculaires et attractives. Pour le petit monde de la F1, c’est la surprise car on n’était pas forcément préparé à ceci. Certes, Ferrari et Honda ont un bloc parfaitement adapté pour la nouvelle saison à venir. On aura également droit à quelques noms exotiques et le bon vieux V12 Maserati fera même son retour sous les Cooper.

Ailleurs, c’est un peu la panique. Certains motoristes ne sont pas prêts pour concevoir rapidement un bloc adapté. Chez Lotus, on apprend que la compagnie Coventry Climax arrêtera la compétition automobile, n’ayant pas les moyens de développer un nouveau moteur répondant au nouveau règlement. A défaut de mieux, le V8 Climax est tout de même poussé à 2-litres pour la première partie de la saison 1966, en attendant de trouver un nouveau partenaire . Ça tombe bien, Colin Chapman, ingénieur et fondateur de Lotus, est en discussions avec son compère Keith Duckworth (qui avait brièvement travaillé pour Lotus justement) pour la création d’un nouveau moteur qui ne sera toutefois pas prêt pour cette saison. On y reviendra plus-tard…
Pour 1966 donc, Chapman doit avoir recours à une solution provisoire. On frappe à la porte de chez British Racing Motors, autre constructeur britannique présent en F1, pour obtenir un moteur compétitif et « moderne ». Ça tombe bien : chez BRM, on développe un bloc inédit. Sous l’égide de Tony Rudd, on va utiliser deux V8 de 1500cc chacun pour former un moteur en H et doté de…16 cylindres. Non, il n’y a aucune erreur dans la rédaction de l’article, BRM a superposé deux V8 pour un bon gros V8 H16 à plat ! C'est un choix certes "économique", mais on imagine le joli casse-tête chinois que ça a été en termes de développement…

Autres éléments compris dans ce bloc, le radiateur est également imposant, les arbres à cames se comptent au nombre de huit et on dénombre quatre systèmes d’allumage pour le fonctionnement du H16. Deux vilebrequins sont présents sur chaque demi-bloc et entrainaient à eux deux, l’arbre de transmission. Enfin, on lui associe à l’arrière, une boite de vitesses à six rapports également conçue par BRM.

Logiquement, BRM utilise son propre V8 original pour propulser ses machines. Chapman conclut également un accord avec celle-ci pour ses Lotus de F1. Une nouvelle monoplace est immédiatement en chantier et doit loger sans problème l’imposant moteur. Elle ne sera pas prête pour le début de saison. Ça tombe bien, le moteur H16 n’est pas encore au point. On débutera donc la saison dans les rues de Monaco avec les anciennes Lotus 33 (datant de 1964) avec une voiture à moteur V8 Climax pour Jim Clark et l’autre avec le V8 BRM pour le nouveau second pilote de l’équipe Lotus, Peter Arundell, de retour en compétition après son accident en F2 deux ans et demi auparavant.

Avec des moteurs peu adaptés et malgré une augmentation de la cylindrée, la fiabilité ne sera pas au rendez-vous pour ce meeting dans les rues de la Principauté.
La nouvelle Lotus, la 43, débarque lors de la manche suivante, sur le tracé de Spa-Francorchamps. Par rapport à la 33 et à ses prédécesseurs, c’est une monoplace plus longue et logiquement plus imposante pour pouvoir abriter le H16. Développée par Colin Chapman et Maurice Philippe, la nouvelle machine est basée sur la 38 qui s’est imposée à Indianapolis en 1965. Elles partagent notamment le châssis monocoque en aluminium. La boite de vitesses d’origine BRM (et adapté au H16) est placé tout à l’arrière de la voiture et la majorité des autres éléments mécaniques proviennent également de la 33.
Pour ses débuts, l’unique 43 construite (jusqu'alors) est confiée à Peter Arundell alors que Jim Clark pilotera la 33 avec le V8 Climax. C’est également la première sortie officielle du H16 en compétition, et Lotus est la seule à l’utiliser étant donné que BRM elle-même n’a pas souhaité, enfin, surtout ses deux pilotes officiels, Graham Hill et Jackie Stewart, parce que ce moteur n’est pas du tout au point, bien que Hill a fait les essais et la qualification avec.

Les soucis vont rapidement apparaitre sur la nouvelle monoplace et Arundell n’arrivera à boucler que trois tours durant les essais sur le grand tracé de quatorze kilomètres. La boite de vitesse tombera rapidement en panne et son meilleur temps en 5’01 ( !), à plus d’une minute et vingt secondes de la Ferrari de John Surtees. La voiture ne pouvant être réparée, le britannique doit déclarer forfait pour ce GP…
Le circuit de Reims accueille la troisième manche de la saison. Arundell est toujours au volant de la 43 alors que Clark et Pedro Rodriguez (engagé de temps à autre sur la troisième Lotus) font confiance à la 33 Climax. Les performances ne semblent pas exceptionnelles, le moteur BRM est visiblement pas encore au point et le pilote revient d’une longue blessure. La 43 se contente du dix-septième et avant-dernier chrono sur la grille, à presque douze secondes de la Ferrari de Lorenzo Bandini. A titre de comparaison, Clark et Rodriguez ont signé le 13e et 14e temps avec les vieilles 33 Climax, à quatre secondes devant Arundell. Et une BRM a utilisé le H16 durant les essais, Jackie Stewart s’est montré raisonnablement performant selon les sources. Mais celui-ci préférera rouler avec le « petit » V8 pour la course, n’ayant toujours pas confiance avec ce nouveau bloc…

Pour la course justement, Arundell était bon dernier jusqu’à ce qu’il renonce au troisième tour : boite de vitesses cassée.
Pour les trois épreuves suivantes (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne), la 43 n’est pas présente sur la piste et Lotus fera courir les 33, que ça soit avec le V8 Climax ou BRM (plus vraiment performantes), en attendant de fiabiliser le moteur. Et ce gros H16 BRM, parlons-en justement. Originale dans sa conception, il est également large et surtout, très lourd sur la balance : 252 kg ! C’est 80 de plus que le V12 Maserati par exemple, et davantage sur la plupart des autres moteurs. Ceci couplé au fait que la boite de vitesses (54kg) est également installée derrière et on a quelque chose de déséquilibré sur l’arrière de la monoplace. Pour le monter dans la monoplace et la mettre au point, on souhaite bon courage aux mécaniciens !

Autre souci majeur, sa complexité dans sa conception et sa mise au point le rend très fragile, ses vibrations mettent également à mal les éléments périphériques et notamment la boite de vitesses. Et s’il est effectivement puissant avec ses 400 chevaux, cela ne suffit pas à compenser tous les soucis énumérés au-dessus.
La 43 fait son retour au GP d’Italie, sur le tracé rapide de Monza. Cette-fois, Jim Clark sera au volant de cette monoplace toujours dotée du H16 BRM tandis qu’Arundell se contente de la 33 propulsée par le V8 du même motoriste. Pour le champion en titre, il s’agit de sauver une saison très délicate juste marquée par un petit podium et on espère que la puissance du H16 permettra à l’écossais de jouer les premiers rôles à la régulière. Lotus aura un point de comparaison intéressant car l’écurie BRM va enfin faire débuter ses gros moteurs dans leurs monoplaces en course, via les nouvelles P83.

Plutôt rapide aux essais, Clark hisse la 43 à la troisième position sur la grille départ, derrière les Ferrari de Scarfiotti et Mike Parkes, mais loin devant les BRM officielles et son partenaire. Mais un départ manqué suivi d’une crevaison ruinera tout espoir de bon résultat. De toutes manières, la boite de vitesses cassera à dix tours de l’arrivée.
Aux Etats-Unis, sur le circuit de Watkins-Glen, Clark réalise une nouvelle belle performance en qualifications en manquant de peu la pole-position face à Jack Brabham. Il se maintient en troisième position durant la première partie du GP, pas loin derrière l’australien et la Ferrari de Lorenzo Bandini lorsque les deux premiers du classement renoncent sur problèmes techniques. Plus rien ne pourra empêcher le double-champion du monde de remporter sa première victoire de la saison, à un tour devant les Cooper de Jochen Rindt et de John Surtees. La saison 1966 est sauvée pour le Team Lotus ! C’est également la première (et seule) victoire du moteur BRM H16 en Formule-1.

Pour le dernier GP de la saison, l’écossais se montre une nouvelle fois performant sur le circuit de Mexico. Pour la seconde fois, il frôle la pole au profit de la Cooper de Surtees. Toutefois, la boite de vitesses fait à nouveau des siennes au huitième des 65 tours de course et c’est l’abandon.
A la fin de saison, Lotus finit cinquième du championnat, avec treize points marqués avec les moteurs BRM (V8 ou H16) et huit avec le V8 Climax. Clark terminera sixième du coté des pilotes, grâce notamment à sa victoire aux USA. Bien qu’il s’agisse d’une saison d’attente, l’équipe a bien du mal à exploiter le moteur H16 BRM. En quatre épreuves, la 43 n’aura vu l’arrivée qu’à une seule reprise, à Watkins-Glen justement avec cette victoire quelque peu chanceuse. Pour autant, et si on met de coté les nombreux défauts de ce bloc original, faut -il parler d’une des voitures les moins glorieuses pour le Team Lotus dans les années 1960 ? Oui si on ne regarde uniquement les résultats en course. Mais dans l’absolu, la 43 est une monoplace compétitive, dans la lignée de ses devancières et comme il a été écrit au-dessus, le H16 BRM est un véritable enfer à le développer et à l’entretenir. Avec Jim Clark au volant, cette voiture et ce gros moteur a démontré un potentiel intéressant sur la piste en dehors de ses problèmes de fiabilité. BRM n’a pas réussi à signer des résultats significatifs, et se montrait d’ailleurs moins véloce que la monoplace verte pilotée par le double champion du monde.

De toutes manières, la Lotus 43 n’est pas destinée à faire carrière bien longtemps, car Colin Chapman attend avec bonheur, le nouveau V8 conçu par Keith Duckworth et Mike Costin, auquel s’ajoutera le constructeur Ford pour financer l’opération. Le Team Lotus aura l’exclusivité pour la fourniture de ces blocs pour 1967…Mais ceux-ci ne seront pas prêts pour le début de saison. Il va falloir débuter l’année avec la 43 et le H16 BRM qui est tout de même amélioré, avec notamment une baisse du poids d’environ 20kg. Pour les pilotes, Jim Clark sera accompagné de Graham Hill, de retour dans l’écurie et peu convaincu des perspectives chez BRM et de leur moteur. Cela n’empechera pas le champion du monde 1962 de retrouver ce gros moteur pour la manche d’ouverture de la saison 1967, à Kyalami.
Pour ce GP d’Afrique du Sud, il y’aura deux Lotus 43 sur la grille de départ. Si Clark se qualifie troisième, Hill n’est que quinzième. En course, ce dernier sortira vite de la piste tandis que son compère écossais renoncera sur casse moteur au quart de l’épreuve.

Ce sera l’ultime sortie des Lotus 43 en compétition. A Monaco, Lotus engagera les vieilles 33 dotées des « petits » V8 Climax (pour Clark) et BRM (pour Hill). Ensuite, une toute nouvelle voiture apparaitra dès le GP du Pays-Bas. La Lotus 49 est basée sur la 43. Et le nouveau V8 tant attendu est également opérationnel pour cette épreuve. C’est les débuts du moteur Ford-Cosworth DFV et le début d’une belle histoire.
En ce qui concerne le H16 BRM, rien n’est terminé, car l’équipe officielle exploite ce moteur durant toute la saison, sans succès notable malgré la présence de Jackie Stewart au volant. A la fin de saison, il est décidé de remplacer ce H16 par un V12, toujours conçu en interne.

Pour la petite histoire, il était initialement prévu que Lotus participe à l’édition 1967 des 500 miles d’Indianapolis avec ce H16. Une nouvelle voiture, la 42, est créé. Mais un V8 Ford a été installé à la place, un choix qui est plus que raisonnable.
Liens/sources
Archives Autosport
STATS F1
L'Equipe, 50 ans de Formule 1, Tome 1: 1950-1978, 2000

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