Le cadeau empoisonné par excellence?
Plus de 50 Grand-Prix disputés entre 1993 et 2009 sans jamais avoir réussi à avoir marqué le moindre point : tel est le résumé de la carrière de Luca Badoer en Formule 1.
Mais si on sourit à la vue de son « palmarès » dans la catégorie-reine des monoplaces, ce n’est pas la faute à un manque de talent, très loin de là. Disons tout simplement que le champion F3000 en 1992 n’a jamais bénéficié d’un matériel un minimum compétitif lorsqu’il courrait, jugez plutôt : Lola/BMS Scuderia Italia, Forti et Minardi (1995 et 1999). Difficile de se faire une place au soleil, et si en plus la malchance s’en mêla comme au Nurburgring 1999 alors qu’il pointait à une surprenante quatrième place à dix tours de l’arrivée…
Badoer se fera toutefois une place dans le monde de la F1 en étant le pilote-essayeur de la Scuderia Ferrari à partir de 1997. Pendant plus de douze ans, le natif de Montebelluna accumulera des centaines de milliers de kilomètres sur la piste, participera activement à la mise au point des monoplaces rouges et deviendra discrètement un acteur majeur des succès de la Scuderia durant les années 2000.
On pensait que sa carrière de pilote à temps plein, c’était terminé pour Luca, que le travail à l’ombre lui suffirait amplement. Ce fut bien le cas, mais au cours de l’été 2009, tout va basculer…
Lors des qualifications du GP de Hongrie, Felipe Massa reçoit un bris de suspension venant de la Brawn de Rubens Barrichello. L’élément atteint son casque à pleine vitesse. Assommé, le vice-champion 2008 sort de la piste et semble avoir perdu connaissance. Bilan un traumatisme crânien, une blessure à l’œil gauche et un repos forcé pour le reste de la saison.
Pour Ferrari, dont la saison 2009 est loin d’être fructueuse pour le moment, il faut vite trouver un remplaçant. Après que quelques noms plus ou moins fantaisistes aient circulé, on pense immédiatement à un homme de la maison, celui qui a remporté cinq titres et 72 victoires entre 1996 et 2006. Il s’agit bien évidement de Michael Schumacher. Mais son comeback chez Ferrari n’aura jamais eu lieu : à la suite des douleurs au cou, conséquence d’une chute à moto plus tôt dans l'année, Schumi ne remplacera pas Massa pour la suite de la saison.
Que faire chez Ferrari ? Le GP d’Europe, sur le circuit portuaire de Valencia, aura lieu dans moins de deux semaines (le 23 aout) ! Il va falloir se tourner vers pilotes-essayeurs de l’équipe, à savoir Badoer, mais également Marc Gêné. Finalement, ce sera l’italien qui sera choisi. A 38 ans, il effectuera donc sa 50e participation en GP à Valencia…Dix ans après sa dernière apparition au Japon 1999….Dix ans, seul Jan Lammers l’avait également fait en effectuant son bref retour fin-1992 après dix ans hors-F1 !
Un joli cadeau de la part de Ferrari, et une jolie récompense à ses années de travailleur de l’ombre…Peut-être que cela permettrait au pilote italien d’enfin marquer ses premiers points en F1 ? Voire de signer un exploit comme certains fans le pensaient ? On voudrait y croire mais Luca ne connait absolument pas la Ferrari F60. Oui car les essais privés sont désormais interdits, ce qui veut dire que le rôle de Badoer était plus symbolique qu’autre chose depuis un an. Il va falloir vite prendre ses marques…
En parlant de la machine, la F60 est loin d’être la meilleure du plateau. Quelques podiums mais c’est à peu près tout. De plus, il va falloir s’acclimater avec le KERS, principale nouveauté de la saison. Et puis, dix ans sans compétition (en dehors de son année chez Minardi en 1999, il n’a pas couru ailleurs en parallèle), c’est risqué de la part de Ferrari…Mais on aimerait y croire chez Badoer.
Malheureusement, les premiers essais libres du GP d’Europe montrent que le pilote italien a toutes les difficultés à s’acclimater avec la monoplace et à regoutter aux joies d’un Grand-Prix. Rendant trois secondes en termes de chrono, Badoer ne fera pas mieux en qualifications en étant bon dernier (20e), à presque trois secondes de la Mclaren de Lewis Hamilton. Pour comparer avec l’autre Ferrari, celle de Kimi Raikkonen, celle-ci avait réalisé le 5e temps en Q1.
En ce qui concerne la course ? Eh bien…en dehors du fait qu'il a été poussé dehors par la Renault du débutant Romain Grosjean et hormis le manque flagrant de rythme et un tête à queue, Badoer se fera remarquer peu après son arrêt aux stand en laissant passer (?) et se faisant doubler par ce même Grosjean …juste à la sortie de la voie des stands !
Le problème en dehors d’avoir perdu une place est qu’il a également mordu la ligne blanche lors de cette même sortie. Du coup, le pilote de la Ferrari numéro 3 doit effectuer un Drive-Through quelques boucles après. Il verra l’arrivée, mais à une lointaine 17e et dernière position, à un tour de la Brawn de Rubens Barrichello…Dur dur. Et ce n’est pas fini : Luca s’accroche avec la Force-India d’Adrian Sutil…dans le parc fermé alors qu’il allait arrêter sa monoplace derrière le pilote allemand !
Après cette prestation fort peu convaincante, on se demande si Badoer va continuer à piloter la Ferrari pour les GP suivants. Mais le temps manque et le GP de Belgique aura lieu la semaine suivante. Le pilote italien sera toujours de la partie sur le circuit de Spa.
Les premiers essais montrent qu’il y’a un léger mieux, pas au niveau de son partenaire finlandais ni du milieu du peloton, mais ça reste moins ridicule que la semaine dernière. De quoi aborder les qualifs’ en toute confiance ?
Malheureusement, tout ceci n’est qu’un feu de paille et à la fin de la Q1, Badoer sort de la piste (gênant plusieurs pilotes qui effectuaient leur tour rapide à ce moment-là) aux Combes et doit une fois encore se contenter de la dernière place sur la grille, même si l’italien est moins largué que d’habitude : moins de deux secondes sur la surprenante Force-India de Fisichella, auteur du meilleur temps en Q1 (et futur poleman !).
En course, il profite de l’incident du premier tour pour occuper la 13e position avant de rapidement renter dans le rang. Rendant généralement une seconde au tour face à ses concurrents, Badoer finira 14e et dernier de l’épreuve, à presque un tour de son partenaire qui a remporté la course.
Après un nouveau weekend compliqué, Ferrari cherche toujours un remplaçant digne de ce nom pour les cinq derniers GP. Et le 3 septembre, il est confirmé que Giancarlo Fisichella (alors chez Force-India) finira la saison. Quant à Badoer, il retournera à son rôle habituel chez Ferrari, à savoir pilote d’essai. Spa-Francorchamps 2009 était donc son 51e et dernière participation en Grand-Prix.
Il est facile de se marrer au vu des résultats produits par le pilote italien lors de ces deux courses, et de se foutre de sa gueule (comme l’auteur de cet article le faisait à l’époque) que ça soit dans les forums de F1 ou dans F1 à la Une chez TF1 (ainsi que les médias)...Mais ce « cadeau » offert par Ferrari avait tout d’un piège pour le pauvre Luca. Si on combine ceci à une monoplace qui est loin d’être une flèche et à un règlement plus que restrictif (pas d’essais privés), l’échec était très certainement couru d’avance. Et puis, à 38 ans sans avoir fait de compétition, ça fait mal, très mal…
Mentionnons également un point : la Ferrari F60 numéro 3 à l’air difficile à la dompter, du moins quand Massa n’est pas là. Pourtant, Fisichella fera à peine mieux (et encore…) au volant de cette machine. De toutes manières, Ferrari avait déjà la tête tournée vers 2010 et la fin de saison était assez quelconque pour les rouges qui terminent 4e au classement des constructeurs, le pire résultat depuis 1993…
Luca Badoer restera pilote-essayeur au sein de la Scuderia Ferrari jusqu’à la fin de l’année 2010, où il prendra sa retraite définitive.
K.N