Qui ne connait pas la Ferrari 333SP ? Ce prototype à cockpit ouvert est le premier de la marque au cheval cabré depuis la 312PB de 1973 et débarquait sur les pistes nord-américaines du championnat IMSA GT à partir de 1994, série principale d’endurance aux USA et qui entamait une période de reconstruction après la fin des Groupe-C/GTP.
Bien évidemment, Ferrari n’est pas impliqué dans le programme sportif de la 333SP, celle-ci sera essentiellement exploitée par des structures privées (avec un petit soutien technique de la part de la marque néanmoins). Ce qui n’empêcha toutefois pas ces dernières de se montrer rapidement compétitives dès leur première année : cinq victoires ont été recensées sur les neuf manches de l’IMSA cette saison. Il faut également préciser que face à ces machines modernes, les autres protos ouverts de cette catégorie « WSC » telles que la Kudzu, les Spice ou les Tiga étaient soit de construction artisanale, soit des voitures de conception ancienne puisqu’étant des Groupe-C avec un toit découpé.
Trois équipes ont couru avec la 333SP dès la première saison : le Momo Corse, celle dont le fondateur du team (et de la compagnie Momo au passage) a convaincu Ferrari de lancer le programme de ce proto, le Scandia Motorsport et enfin Euromotorsport. C’est la dernière équipe citée qui nous intéressera par la suite…
Si vous ne connaissez pas Euromotorsport, vous connaissez surement mieux son nouveau nom aujourd’hui : Eurointernational, cette équipe évolue aujourd’hui en European Le Mans Series (ELMS) en exploitant des Ligier JS-P320 LMP3 depuis 2016. Mais revenons en arrière : après avoir officié en tant qu’ingénieur ou team-manager pour plusieurs équipes, Antonio Ferrari (qui est un des petits neveux d’Enzo !) crée sa propre structure en 1989 : Euromotorsport. D’entrée, elle s’engage dans le championnat principal de monoplaces aux USA : le CART. Pendant six saisons, l’écurie italo-américaine (puisqu’installée à la fois près de Novare et dans l’Indiana) connaitra des résultats plus que contrastés avec des pilotes majoritairement venus d’Europe, qu’ils aient couru dans les formules de promotion ou qu’ils soient venus d’outre-tombe. Le programme s’arrête à la fin de l’année 1994.
1994 marquait également les débuts d’Euromotorsport en IMSA GT, en étant l’une des premières teams à exploiter la Ferrari 333SP. Avec deux voitures engagées, c’est elle qui apportera à ce proto sa première victoire dans ce championnat aux 2h de Road Atlanta avec Jay Cochran au volant. C’était d’ailleurs la toute première apparition de la voiture dans le championnat ! Une autre victoire s’ajoutera un peu plus tard au 2h de Lime Rock avec Mauro Baldi, lui-même auteur de la pole-position à Road Atlanta.
Pour une première saison avec une voiture nouvelle, c’est une réussite. Mais ce fut également une saison couteuse pour Euromotorsport qui se contentera d’aligner une seule 333SP au lieu de deux en fin de saison. Pour 1995, on se concentre uniquement en IMSA, toujours avec une unique Ferrari pour l’année. C’est également les premières vraies épreuves d’endurance pour cette voiture avec les 24h de Daytona et les 12h de Sebring. La première sera difficile pour toutes les machines italiennes qui se montreront rapides…et fragiles à partir de la nuit tombée. Euromotorsport ne sera évidemment pas épargnée par ceci et n’obtiendra pas de résultats significatifs dans ces deux épreuves…
A Road Atlanta pour la course de 2 heures, la Ferrari jaune de l’équipe alors pilotée par Fabrizio Barbazza part en travers de la piste sur la ligne droite de départ/arrivée, surpris par l’incident entre deux Porsche à ce même endroit. Juste après, la Spice de Jeremy Dale ne peut l’éviter et le percute de plein fouet. Voiture détruite et pilote grièvement blessé, la saison d’Euromotorsport en IMSA s’arrêta la, au cours du mois d’avril…
Cependant, Euromotorsport sera présente pour une épreuve bien connue en juin : les 24 Heures du Mans. La structure italo-américaine sera bien présente dans la Sarthe et sans être obligée de passer par la case préqualifications. Une Ferrari 333SP dans cette mythique épreuve, ça donne envie hein…
Cela dit, il faut également préciser un petit point : la venue de l’équipe et donc, de leur Ferrari 333SP est possible grâce à Gilles Gaignault, journaliste dans le milieu du sport-auto et à l’origine de quelques autres initiatives originales (comme l’engagement des Viper RT/10 en 1994) a en quelque sorte, été à l’origine de cet engagement et qui a convaincu l’équipe d’apporter ce proto.
Etant donné que le châssis actuellement utilisé par Euromotorsport en IMSA est détruit à Road Atlanta, il va falloir trouver au plus vite une solution. On va alors récupérer la voiture inutilisée par l’équipe depuis fin-1994 et on ajoute les améliorations de 1995 sur ce proto. Pour le reste, Euromotorsport va également apporter quelques modifications en modifiant l’aileron arrière, la prise d’air et en intégrant un aileron-requin sur le capot-moteur (non présente pour la course).
Le moteur V12 atmo’ de 600 chevaux a également subi quelques modifications afin que celui-ci peut rouler sans problème en France (soupapes, essence avec indice d’octane différent…). Enfin, la 333SP est également dotée d’un limitateur (sous forme de capteur) de régime électronique qui bride le moteur à 10500 tr/min comme c’est le cas dans les courses en IMSA.
En un laps de temps assez court et après quelques essais près d’Indianapolis, la 333SP de couleur jaune arrive au Mans juste à la veille du pesage. Euromotorsport confirme également son équipage pour cette 63e édition de ces 24 heures. Les pilotes habituels de l’équipe en IMSA, Jay Cochran et Massimo Sigala seront accompagnés de René Arnoux, lui-même ancien pilote en F1 qui va entamer sa troisième participation dans l’épreuve. La Ferrari est inscrite en catégorie WSC et reçoit également un petit soutien de la part de la marque, avec plusieurs moteurs à disposition de la structure.
Parmi les autres protos ouverts présents, qu’elles soient inscrites en WSC ou LMP2, on peut noter les WR LMP, les Courage C34 et C41, une Kudzu Mazda et enfin les Kremer K8 à moteur Porsche qui avaient remporté les 24h de Daytona plus tôt dans l’année. Face aux GT1 (dont des Ferrari F40) & GT2 qui se multiplient d’année en année, la catégorie des protos ouverts prend un peu de couleurs dans cette édition avec le grand retour d’une Ferrari dans une des catégories principales au Mans. Pour l’histoire, la seule 333SP présente portera le numéro 1.
Mais dès les premiers essais lancés, il y’a un problème : les commissaires de l’ACO (Automobile Club de l’Ouest) ne sont pas convaincus du capteur qui limite le couple du moteur et demande à Euromotorsport de la mettre en conformité pour la suite des événements. Il faudra attendra la deuxième séance d’essais qualificatifs (le jeudi) pour qu’elle soit enfin légale sur la piste, le capteur est installé près de la boite et du moteur. Mais beaucoup de temps a été perdu et contrairement à pas mal d’autres voitures, il va falloir rapidement cravacher pour signer un chrono correct, et des soucis de fiabilité ont été décelés, notamment avec la boite de vitesses. Avec tout ceci, Jay Cochran réalise un modeste chrono en 4 minutes pleines, ce qui le place au 17e rang sur la grille. A titre de comparaison, la WR qui a signé la pole avec William David était en 3min46. La seule Ferrari 333SP présente au Mans est au milieu des GT1 (et derrière les F40 LM) et peut-être que la course sera plus favorable pour l’équipe.
Dès le départ, Massimo Sigala donne tout pour remonter dans le peloton au point d’atteindre un moment les portes du top-10. Le pilote italien frappe fort, trop fort peut-être ? Au septième tour et après moins d'une heure de course, la Ferrari jaune s’arrête sur la piste : moteur out. La première apparition de la Ferrari 333SP au Mans aura été brève et celle-ci ouvre la liste des abandons en compagnie de la Honda NSX GT1 Turbo. Au moins, il y’aura tout de même deux Ferrari à l’arrivée de cette épreuve, deux F40 avec notamment celle de Michel Ferté.
Après ceci, Euromotorsport retournera en monoplaces, d’abord en IRL (concurrent du CART), puis dans divers championnats de formule de promotion après une petite inactivité, avant de revenir en endurance en 2016. Pour l'histoire de la Ferrari 333SP au Mans, cet abandon prématuré en 1995 marquera le départ de la présence de cette machine pour les années à venir, avec des résultats contrastés.
Liens/sources
Auto-Hebdo spéciale Ferrari aux 24h du Mans, 2022
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