Depuis le début du nouveau millénaire, l’écurie irlandaise Jordan entame son lent déclin. Mais, après une saison 2002 très délicate, la suivante, avec la EJ13, va voir cette team creuser encore plus sa tombe, malgré un miracle dans un grand-prix chaotique…
La Formule 1 au début des années 2000, c’est l’ultra-domination de Ferrari, un spectacle poussif et la raréfaction des teams privés au profit des constructeurs. Mais c’est aussi une période marquée par l’explosion de la bulle internet suivi d’un Krach boursier en 2001, conduisant plusieurs compagnies informatiques ou de télécommunication en difficultés. Ceci a également un impact sur la Formule 1 en termes de sponsoring et de revenus, conduisant à pas mal d’équipes privées en difficulté financière…
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Eddie Jordan est le fondateur de son équipe éponyme depuis les années 1980. Après avoir accumulé les succès en F3 britannique et en F3000 (avec Johnny Herber ou Jean Alesi), il décide de s’attaquer à la F1 en 1991. Avec la belle 191, cette saison initiale est une réussite, quoique très coûteuse. Les saisons suivantes seront plus difficiles, avant de remonter la pente en 1994, puis avec l’association entre son team et Peugeot entre 1995 et 1997.
En 1998, Jordan Grand-Prix, désormais équipé du moteur Mugen-Honda, remporte sa première victoire sur le circuit de Spa avec Damon Hill (dans des conditions rocambolesques, il est vrai). L’année suivante est encore meilleure, Heinz-Harald Frentzen décroche 2 victoire et peut même espérer le titre mondial des pilotes, un abandon au Nurburgring annihilera tous ses espoirs…
Et depuis 2000, Jordan a bien du mal à confirmer ses bonnes dispositions vues en 1999, d’autant plus qu’Eddie Jordan se fera un plaisir de s’embrouiller avec pas mal de monde, certains sponsors et Frentzen en savent quelque chose. L’année 2002 est probablement celle qui voit cette équipe s’affaiblir pour de bon : finances en berne, personnel réduit, voiture pas performance, peu de sponsors (effet Eddie Jordan combiné au krach vu précédemment). Résultat : une sixième place au championnat des équipes qui a pour effet, le départ du motoriste Honda et de la Deutsche Post (DHL), un des sponsors principaux de Jordan en 2002.
Se serrer les fesses
L’hiver 2002-2003 aura été très rude pour la sympathique équipe irlandaise (mais basée en Angleterre, à Silverstone). Le budget a encore été réduit, la Deutsche Post s'en va, tandis que son fidèle sponsor depuis 1996, la marque de cigarettes Benson & Hedges, réduit lui-aussi son investissement. Conséquence de tout ceci, Jordan ne roule que peu cet hiver, la moitié du temps avec la piètre l’EJ12 de 2002.
C’est au milieu du mois de Janvier 2003 que la nouvelle monoplace a été discrètement dévoilée : la EJ13, qui ressemble en tout point à la EJ12. Mais avec le budget étriqué et un manque de staff, les concepteurs, Gary Anderson et Henri Durand, n’ont pas pu faire grand-chose pour transformer la citrouille en carrosse…
Le changement principal vient du moteur : fini les V10 Honda, place maintenant au Ford-Cosworth V10 RS1. Il s’agit en fait du même moteur qui équipait les Jaguar en 2001 et 2002 (sous le nom de Cosworth CR-3). Malgré son âge, il se montre léger et coupleux. Néanmoins, celui-ci présente également quelques soucis de fiabilité lorsque Jaguar était équipé de ce bloc, d’autant plus que la fourniture des Ford-Cosworth est tout, sauf gratuit (contrairement à Honda où Jordan était, avec BAR, les clients privilégiés), ce qui ne manquera pas d’agacer Eddie Jordan tout au long de la saison…
Coté pneumatiques, Jordan fait à nouveau confiance à Bridgestone, maigre consolation si on considère que le manufacturier japonais est exclusivement concentrée sur Ferrari…
Pour les pilotes, le rapide italien Giancarlo Fisichella (alias Fisico), présent depuis 2002, est toujours de la partie. Le second pilote sera un débutant britannique au nom de Ralph Firman, champion de Formula Nippon en 2002, d’ailleurs sa venue rassure un peu Benson & Hedges qui donnera un petit peu plus de Livres, ce qui n’est pas rien.
Coté essais, pas grand-chose à dire. Elles sont réduites à sa plus simple expression, suffisant toutefois pour déceler une inquiétante non-compétitivité de la monoplace. D’autant qu’aucun sponsor n’est intéressé pour décorer la EJ13. Outre Benson & Hedges, on peut résumer les partenaires à : Ford, Liqui-Moly, HP, Damovo, Brother ou Virgin Mobile. La saison s’annonce délicate, encore plus que les précédentes…
C'est encore loin, le top 8?
Commençons tout d’abord par parler réglementations et changements pour la saison 2003 de F1. Tout d’abord, deux séances de qualification sont organisées le Vendredi et le Samedi. Seulement un tour sera chronométré, la grille sera déterminée en fonction du meilleur temps de ces deux séances. La FIA instaure également le Parc-fermé entre les qualifs’ et la course, c’est à dire qu’aucune monoplace ne pourra être touchée ou modifiée, sauf incident majeur. Enfin, le barème des points a également été modifié, fini le temps où les six premiers marquaient les points, place aux huit premiers maintenant ! Voilà de quoi ravir les équipes de milieu du tableau et les petits poucets comme Minardi…voire Jordan.
Melbourne, GP d’Australie, début Mars. C’est la rentrée pour le petit monde de la Formule 1, et le début des véritables inquiétudes pour Eddie Jordan. Comme il le craignait, les EJ13 ne montrent rien de bon côté chrono. Malgré toute la volonté de Fisichella, celui-ci se contentera du 14e chrono, à plus de deux secondes de Michael Schumacher. Plus en difficulté sur une piste qu’il ne connait pas (soucis mécaniques et nombreuses excursions hors-piste), Firman se qualifie 17e, à quatre secondes pleines de l’allemand.
Les conditions météo changeantes vont quelque peu bouleverser la course, quoique Firman se fera surprendre par l’assèchement de la piste et c’est fini au sixième tour après avoir tapé le mur. Pas mieux pour Fisichella qui se traine en queue de peloton avant que la boite casse…Fin du weekend.
Deux semaines plus tard, sur le circuit malais de Sepang, la même histoire se produit, avec des qualifs’ modestes pour Fisico (14e) et surtout pour Firman (20e et dernier !). Le lendemain, Fisico se loupe en voulant rejoindre son emplacement durant le tour de chauffe (!) et trouve le moyen de caler, c’est déjà fini pour lui. Quant à son partenaire anglais, il profite du chaos au premier tour pour gagner des places et de s’accrocher dans le peloton. Il finira dixième et donc, hors des points.
Samba de Sao Paulo
On retrouve tout ce petit monde deux semaines plus tard, sur le circuit d’Interlagos, au Brésil. Les conditions météo prévoient de la pluie en course, voilà qui va redistribuer les cartes, espérons-le.
En qualifs, Fisichella réalise une très bonne séance en plaçant sa rétive monoplace au huitième rang, moins heureux pour Firman : 16eme à 1 seconde de son compère italien.
Le lendemain, les conditions sont pluvieuses, extrêmement pluvieuses…De nombreux incidents et sorties de piste vont perturber le déroulement de la course. C’est le cas malheureusement de Firman : sa suspension avant-droite casse au bout de la ligne droite des stands et, sans aucun contrôle, percute la Toyota de Panis. Plus de peur que de mal…
Fisichella, lui, fera une course d’attente, et remontera progressivement au fur et à mesure. Quand vient le 54eme tour : alors derrière la Mclaren de Kimi Raikkonen qui mène la course, le finlandais se loupe dans le virage de Juncao (le dernier virage avant la ligne droite courbée), Fisichella en profite et prend la tête de la course ! Au tour suivant, les cartons de Webber et surtout d’Alonso forcent les organisateurs à arrêter la course. Fisico a donc remporté sa première victoire en F1…avec un moteur en feu en entrant dans les stands ! Les mécanos de chez Jordan exultent ! Mais…
…Ce sera Raikkonen qui a été désigné vainqueur de cette course. Confusion, incompréhension…C’est qu’on a décidé de ne pas retenir le 55e tour et d’en rester jusqu’au 54e …sauf que Fisico avait pourtant dépassé Raikkonen dans le dernier virage à ce moment. Eddie Jordan fait part de son mécontentement et tentera une réclamation pour prouver de A à Z que son pilote a bel et bien gagné la course.
Et quatre jours après, Fisichella est finalement déclaré vainqueur officiel du GP du Brésil. Jordan a fourni suffisamment de preuves et la FIA a reconnu son erreur. Ouf ! L’honneur est sauf : première victoire de Fisichella après 92 GP, quatrième victoire de Jordan lors de son 200e GP et 10 points au classement ! Voilà Jordan cinquième au championnat des constructeurs. Pas mal quand on sait que l’EJ13 est une brouette…Bon, cela dit, pas sur qu'il aurait gagné si la course n'était pas arrêtée (il devait encore rentrer aux stands pour ravitailler, sans compter le moteur en feu...)
Retour à la réalité
A partir d’ici, les résultats seront tout simplement calamiteux. A Imola, quatrième manche du championnat, on en profite pour échanger les trophées entre Fisico et Raikkonen. Inutile de préciser que ça ne change rien quant aux faibles performances de la voiture. Pour faire simple : le scénario est identique jusqu’à la fin de saison. L’EJ13 ne connait pas le moindre développement tout au long de l’année, budget oblige. Mais elle est surtout condamnée à lutter avec les Minardi (l’équipe la plus modeste du plateau) pour éviter les dernières positions. La place en qualification se situe entre la 12e et la 16e place, toujours à l’avantage de Fisico (l’écart moyen entre lui et Firman est de 0,7 secondes).
En course, ce n’est guère mieux, la voiture est incapable de suivre à la régulière le milieu de peloton et se retrouve en moyenne à un, voire à deux tours de retard par rapport aux leaders. Notons également qu’on a vu les deux Jordan à l’arrivée qu’à deux reprises. En effet : la fiabilité fut très médiocre. Si ce n’est pas la boite, la suspension ou d’autres éléments mécaniques qui cassent, c’est le moteur Ford-Cosworth qui fait des siennes, un exemple ? Cinq moteurs cassés à Budapest, des essais libres à la course ! Pas étonnant qu’Eddie Jordan se plaint constamment de la qualité du Ford quand on sait qu’il est tout, sauf gratuit…
Quelques rares éclaircies sont à retenir : une huitième place (donc, un point) pour Firman à Barcelone après avoir résisté aux Sauber. La neuvième place en qualifs pour Fisico à Zeltweg, et enfin une septième position en course pour l’italien à Indianapolis dans des conditions…pluvieuses.
A noter également que Ralph Firman a été victime d’un violent accident lors des essais du GP de Hongrie, à Budapest. Il a été remplacé par le hongrois Zsolt Baumgatner, honnête pilote en F3000. Il fera son GP « local » et en Italie, à Monza.
Plus que les performances dramatiques de l’EJ13, Jordan a plus fait parler d’elle par son procès intenté à Vodafone au cours de l’été, un groupe britannique de télécommunications. Petite histoire : cette dernière a signé un pré-contrat avec Jordan GP au cours de l’année 2001, mais Vodafone se liera à Ferrari et le deal a échoué…Sauf qu’Eddie Jordan n’a pas oublié cette histoire et demande un dédommagement de plus de 200 millions d’euros ! Affaire qu’il perdra en même temps que sa réputation…
La faucheuse s’approche…
Cette saison 2003 aura marqué le début de la fin pour l’écurie Jordan, 9eme au classement des équipes (sur dix...). Jamais la EJ13 n’aura été capable d’être à l’action en milieu du peloton. La victoire au Brésil n’aura été qu’un gros coup de miracle dans une année vraiment noire. Avec un budget encore plus réduit pour 2004 et des infrastructures qui n’ont plus évoluées, la fin s’approche pour ce team, surtout à l'heure ou les constructeurs sont maintenant dominants en F1.
Difficile de blâmer le staff technique, ni les pilotes d’ailleurs : Fisichella reste toujours aussi solide malgré un environnement délicat. Firman aussi, n’a pas démérité malgré son manque d’expérience dans la discipline. Et pourtant, tous les deux ne seront pas de la partie en 2004.
Caractéristiques voiture :
Moteur : Ford-Cosworth RS1
V10 3000cc, atmosphérique, en aluminium
Implantation : central-arrière, longitudinale
Puissance : 800 ch à 17500 tr/min.
Voiture :Jordan EJ13
Concepteurs : Gary Anderson et Henri Durand
Châssis : monocoque, en fibre de carbone
Freins : d’origine Brembo
Boite de vitesses : Séquentielle à 7 vitesses, construite par Jordan
Transmission : aux roues arrière
Dimensions : 4,6m (L) * 1,8m (l)
Poids : 600kg
Pneumatiques : Bridgestone
Résultats en compétition :
A couru en Formule 1 (2003)
Une victoire, au GP du Brésil
9eme du championnat des constructeurs, avec 13 points.
Pilotes : G. Fisichella (12eme, 12 points), R. Firman (19eme, 1 point), Zsolt Baumgatner (Non classé).
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