Goodstone
- 19 oct. 2020
- 6 min de lecture

Ligier LC02 Ford-Cosworth (1984)

Alors présente en F1, le nom Ligier était également présent outre-Atlantique avec cette LC02 pour le CART. L’aventure américaine n’aura pas duré bien longtemps…

Né en 1979, le CART Indycar World Series est le principal championnat de monoplace aux USA en ce milieu des années 1980. Equipes, pilotes, sponsors, batailles sur les circuits routiers et ovales…tout y était. Bien sûr, que serait le CART sans l’épreuve-phare : les 500 miles d’Indianapolis, au calendrier de ce championnat depuis 1982 (auparavant, il était inclus dans le championnat USAC).

Le CART était parfois considéré comme la F1 "américaine" (©Champweb/ LAT Images)

Ligier

Ligier, c’est un ancien pilote ayant couru entre les années 1960 et 70. Ligier, c’est également une équipe de Formule 1 et qui sera en quelque sorte, une des représentantes de la France (avec Renault) dans cette discipline au début des années 1980. Pour d’autres, le nom Ligier est également associé aux prototypes LMP2 et LMP3 actuels dans le monde de l’endurance ou encore aux voitures sans-permis.

Guy Ligier en 1967 (©Ligier)

Mais au milieu des années 1980, ce n’est pas la grande joie dans le team de F1 : divorce avec Talbot-Matra fin-82, résultats en baisse et surtout, aucun point marqué en 1983 avec la JS21 à moteur Ford-Cosworth.

Malgré ces déboires, cela n’empêche pas l’équipe basée à Abrest (dans l’Allier, à proximité de Vichy) d’obtenir plus de moyens en vue de la saison 1984 grâce aux sponsors publics tels que la SEITA (Gitanes) ou la Française des Jeux (Loto). Comme quoi, être un ami de François Mitterrand, ca peut aider…

Aucun point marqué en 1983 avec cette JS21, avec Jean-Pierre Jarier (ici à Hockenheim) et Raul Boesel comme pilote (©Luis F)

Si Ligier reste toujours en F1, celui-ci va également connaitre un partenariat inattendu de l'autre coté de l'Atlantique, mais ca, personne ou presque ne connait cette histoire.

Ligier & Curb

En fait, la personne à l’origine de tout ceci est Mike Curb. Artiste, compositeur, buissnessman et homme politique (lieutenant-gouverneur de la Californie entre 1979 et 1983). Il est également le boss de Curb Records, une maison de disque…Bref un personnage étranger du monde du sport-auto, me diriez-vous. En réalité, cela fait quelques années qu’il soutient discrètement quelques équipes dans les séries nord-américaines. C’est encore le cas aujourd’hui en ayant créé une structure avec Cary Agajanian ou en nouant des partenariats en NASCAR : avec Thorsport Racing en Truck Series ou en Indycar avec Andretti-Herta Autosport.

En 1984, le voilà propriétaire d’une team en NASCAR, avec comme pilote un certain Richard Petty ! Notre touche à tout s’offre les services du quintuple champion de la Winston Cup Series (première division en NASCAR) et du fameux numéro 43.

Plus que ça, Curb veut également s’attaquer au CART. Mais au lieu de se procurer un châssis March ou Lola majoritairement prisés à l’époque, il va demander à Ligier de concevoir la future monoplace bien que l’équipe française n’a aucune expérience dans les courses US…

Surprise en NASCAR: Richard Petty quitte sa propre structure et rejoint la team de Mike Curb pour 1984, amenant avec lui le numéro 43 et le sponsor STP (©Speedsport)

Ensuite, Curb va contacter l'équipe All American Racers (AAR, du fameux Dan Gurney) pour l'exploitation et le développement de la voiture. Ce qui veut dire que Ligier n'est que peu impliqué dans cette affaire au final. Enfin, la marque de vermouth Dubonnet est le sponsor principal de l'équipe et de cette association.

L’idée est simple : utiliser la JS21 comme base. Oui, la même monoplace qui a marqué zéro point en F1 en 1983. Mais soit…

La monoplace

Les modifications de la coque et de la carrosserie sont réalisées en Angleterre (sous l'initiative et l'œil de Ligier) alors que l’assemblage final est pour All American Racers (AAR). Pour résumer la chose : on a une association franco-américaine en vue de la saison 1984 de CART, une F1 aménagée pour les circuits US et une petite implication de la part d’une équipe basée en Californie et qui ne court qu’à temps partiel en CART depuis quelques années déjà…A noter que le directeur sportif de Ligier, Dany Hindenoch, supervise également l’association Curb-Ligier et le programme de la LC02.

La JS21 de F1, qui servira de base pour la LC02 (©?)

Parlons de la voiture, la LC02 (LC pour Ligier & Curb), celle-ci diffère nettement des autres monoplaces qui courent en CART. A comparer avec la March 84C ou la Lola T800, la Ligier a l’air plate, plus longue que ses rivales. Bref, une F1 sous hormones avec un compartiment moteur retouché…

Le moteur est un Ford-Cosworth DFX, prisé par plusieurs équipes en CART et un peu différent du DFV qui propulsait la JS21 en F1 car doté notamment d’un turbocompresseur pour les courses US. Le tout donne plus de 750 chevaux. Enfin, les pneus Goodyear chausseront la LC02.

L'histoire raconte que le rapprochement entre Ligier et Curb se soit fait grâce à Line Renaud (oui, la chanteuse et actrice qu'on connait)! Plusieurs sources affirment ceci mais difficile se savoir si c'est réellement vrai... (©Velocidade/ Autodiva)

Concernant les pilotes, Kevin Cogan, transfuge du Binotti-Cottier Racing, est désigné comme premier pilote. Il sera secondé par Michael Chandler, honnête pilote en IMSA et en CART, il est également le fils de l’éditeur du Los Angeles Time pour l’histoire à cette époque.

Une seule Ligier LC01 est préparée, et c’est Cogan qui conduira cette voiture. Chandler sera au volant de l’Eagle 84 à moteur Pontiac (une monoplace conçue par AAR).

Rêve américain ?

Le championnat 1984 de CART Indycar débute début-avril dans les rues de Long-Beach. Du coté de la team Ligier-Curb Racing (avec AAR qui entretient et exploite les voitures, n’oublions pas), pas de grands objectifs étant donné que la LC02 n’a fait que peu de tests avant l’ouverture du championnat. Surtout : la monoplace présente des soucis d’assemblage et de conception. Tous les plans n’ont apparemment pas été respectés lors des modifications subies en Angleterre…

Dubonnet, marque de vermouth désormais sous la propriété du groupe Pernod-Ricard, est le sponsor principal de Ligier-Curb ( ©Dominique Guerreau)

Dès les premiers essais, la Ligier conduite par Cogan a un comportement plus que médiocre et est un peu trop lourde face aux autres voitures…Résultat : 21e sur la grille de départ (sur 28) après avoir cassé sa transmission. Le lendemain en course, les choses ne s’améliorent pas : abandon après trois petits tours, la transmission à encore cédé…Pendant ce temps, Mike Chandler connait le même sort avec sa Eagle alors qu’il partait 6e au départ.

©speedweek

Peut-être que la Ligier n’aimait pas les circuits urbains, non, elle n’est tout simplement pas performante. Le constructeur français a-t-il sous-estimé le championnat ou manquait-il de temps pour concevoir une monoplace convenable ? Un peu des deux…

Deuxième manche du championnat quinze jours plus tard à Phoenix. Exit le circuit en ville, place à un petit oval d’un mile (bon, il ressemble un peu plus à un triangle arrondi, bref…). Dès les premiers tours de roues, les problèmes s’enchainent : la LC02 a une fâcheuse tendance à décrocher de l’arrière. Vu le comportement rebelle, voire dangereux de la voiture, Cogan préfère rouler avec l’Eagle pour le reste du weekend. Alors qu’Alain Ferté, pilote de Formule 2 et bien connu pour avoir roulé en endurance plus tard, est pressenti pour conduire la Ligier, c’est finalement Michael Chandler qui aura le malheur de la piloter. Les deux pilotes de Curb échangent donc leur voiture.

©IMS Museum

Chandler échouera à se qualifier, tandis que Cogan finira la course à une huitième place.

La prochaine manche correspond aux 500 miles d’Indianapolis, programmée pour la fin du mois de mai. Mais d’abord, il y’a une série d’essais à effectuer plus de dix jours avant. Cogan retrouvera la Ligier LC02 tandis que Michael Chandler aura droit à l’Eagle Pontiac.

Cogan en essais à Indianapolis. Ce sera l'ultime apparition de la Ligier LC02 en piste (©?/Giullio Della S.)

Après quelques journées d’essais, la Ligier reste toujours aussi diabolique à piloter, comme si elle voulait partir en tête à queue à chaque tournant. Ses défauts de comportement s’accentuent sur ce grand ovale et comme il n’est pas possible de remédier à ce problème, Cogan délaisse cette voiture et veut piloter l’Eagle pour l’épreuve. Le natif de Culver City et Chandler se partageront donc la monoplace conçue par AAR pour les séances qualificatives.

Kevin Cogan va utiliser l'Eagle 84 Pontiac après quelques essais sur la Ligier... (©Paul Castagnoll)

C’est durant ces séances que Michael Chandler connaitra un grave accident, le laissant dans le coma pendant plusieurs jours. Le jeune pilote américain s’en sortira, mais ceci marquera la fin de sa carrière de pilote (malgré un bref comeback en Indy Lights quelques années plus tard). Avec la même Eagle, reconstruite à temps, Cogan réussira à se qualifier pour la mythique épreuve.

Quant à la Ligier LC02, plus personne n’en entendra parler. La voiture n’a plus du tout roulé après quelques essais à Indy et le deal entre Mike Curb et Ligier est rompu. Le premier cité continuera la saison avec l’Eagle 84 Pontiac (toujours avec l’aide d’AAR, la team se nomme Curb Racing-AAR) tandis que le second ne s’aventurera plus jamais en CART/ Indy Car. Au moins, Guy Ligier n’aura presque rien perdu dans cette histoire car il n’aque peu investi dans ce programme hormis « transformer » une F1 en CART et comme c'est justement AAR qui s'est (presque) chargé de tout ceci.