Retour sur la dernière Lotus de Formule 2…

En 1972, l’équipe Lotus et son pilote Emerson Fittpialdi deviennent champions du monde. Après une année 1971 médiocre marquée par des résultats irréguliers et l’échec de la 56 à turbine. Revenant à la 72 (apparue en 1970) l’année suivante, l’équipe dirigée par le génial Colin Chapman retrouve de sa superbe cette saison en combinant vélocité et fiabilité, le tout associée au talent du pilote brésilien qui deviendra le plus jeune pilote (25 ans) à gagner un titre en F1, 23 ans avant Fernando Alonso.

Il faut également noter que Lotus a mis toutes ses chances de son coté en 1972, en arrêtant la construction des monoplaces destinées aux séries inférieures, en F2 et en F3 (malgré des participations dans cette dernière jusqu’à la mi-73) ainsi qu’en fermant son département compétition-client destinées à ces catégories-là, jugés plus assez rentables pour l’équipe. Pour les équipes et pilotes utilisant ces modèles, il va falloir acheter un autre châssis ou se débrouiller tout seul avec un matériel qui deviendra dépassé au fil du temps…

Caprice de sponsor ?
Pourtant, tout ceci n’est pas définitivement terminé. Explications : Toujours en 1972, Lotus a signé un contrat avec le cigarettier John Player Special, d’où la fameuse livrée noire et or, mais également avec la compagnie pétrolière Texaco (à la place de Shell), bien que l’entreprise nord-américaine a une « importance » moindre que JPS, sinon fournir l’essence.
Mais pour satisfaire les gens de chez Texaco et pour leur offrir une plus grande visibilité publicitaire, un programme en Formule 2 européenne est recrée en 1973 avec la compagnie pétrolière comme sponsor-titre. Bien que pas trop motivé par tout ceci et n’ayant les yeux qu’en F1 désormais (en plus des Lotus de route), Chapman va concevoir une monoplace adaptée à la réglementation de cette série.

A cette période, la F2 européenne (crée en 1967, premier championnat réel de F2 à une échelle continentale) autorisait des moteurs de 2 litres maximum et cette antichambre de la F1 était concurrentiel avec la présence de jeunes pilotes, de baroudeurs présents depuis un certain moment et même des pilotes de F1, qu’ils soient en mal de gloire ou qu’ils viennent juste pour le fun .
Coté voitures, c’est aussi concurrentiel avec Brabham, Chevron, March ou encore Alpine par exemple, idem coté moteurs avec une majorité de Ford BDA (déjà aperçue sur les Ford Escort 1600) et de BMW. Bref, pour une grande ou petite structure, le choix ne manque pas si on prend également compte des machines artisanales ou ayant déjà couru les années précédentes.

Revenons à notre sujet initial, la future Lotus de F2 sera conçue par Ralph Bellamy et sous la houlette de Colin Chapman. Le nom de Lotus dans cette série sera tout simplement le « Texaco Star – Lotus », rien que ça…
La voiture
Démarrée plutôt tardivement, la Lotus 74, nom du modèle, se distingue par sa forme bien rectangulaire et visiblement inspirée de la glorieuse 72 de F1, puis par ses grands radiateurs latéraux qui sont justement repris à la 72 de même pour ses suspensions.
Pour le moteur, pas la peine de piocher chez Ford ou BMW, Chapman a déjà un 2 litres de sa propre création.
Le Lotus atmo’ en aluminium fait partie de la série des moteurs Lotus de type « 900 » entamée en 1969. En plus d’équiper certaines Vauxhall de série et plus tard, les Elite et Eclat en 1974, ce bloc équipait déjà un modèle de compétition : l’Europa Type 62 de 1969. Celle-ci n’a couru que brièvement en 1969, avec des résultats mitigés, le moteur est justement la principale faiblesse de cette machine, notamment en termes de fiabilité.

Pour l’adapter à la 74 de F2, Chapman confie le développement de ce moteur à une structure italienne, plus précisément chez Novamotor. Après l’augmentation de la puissance pour donner plus de 275 chevaux, l’ajout d’une injection Kugelfisher et de plusieurs modifications pour solidifier l’ensemble, le bloc Lotus « 906 » est prêt pour la compétition. La monoplace sera également équipée de pneus Goodyear.
Pour les pilotes de ce programme, Lotus a tout simplement choisi les mêmes qui seront en F1 cette année, à savoir le champion en titre de la F1, Emerson Fittipaldi. Il sera accompagné du prodige suédois Ronnie Peterson, lui-même champion 1971 en F2 européenne.

Vous avez bien lu : l’équipe Lotus…pardon, la Texaco Star, a choisi deux pointures en F1 pour son programme en F2 européenne. L’histoire ne nous dit pas si c’était Texaco ou Colin Chapman himself qui a imposé ce choix mais en tout cas la concurrence n’a qu’à bien se tenir, et tant pis si aucun pilote régulier en F2 n’a été choisi. Vous me direz, on a bien des cas similaires en NASCAR, encore aujourd’hui.

En compétition
Les premiers essais de la 74 se sont déroulés sur le circuit de Snetterton. Mais un incendie se déclarera sur la voiture après que le moteur ait cassé. Ceci bouleversera le programme d’essais et la mise au point de celle-ci. Lotus choisit de ne pas disputer les premières épreuves du championnat…

La machine est présentée mi-mai au public pour la première fois lors du GP de Belgique de F1, sur le circuit de Zolder. Avec sa livrée bien sobre et sans excès, la 74 est désormais prête pour se lancer dans le grand bain. Mais de gros doutes subsistent toujours à propos de la fiabilité du moteur, d’autant plus que tout n’est pas parfait coté mise au point.

Malgré tout, on retrouve deux 74 en compétition un mois plus tard, toujours en Belgique, mais sur le circuit de Nivelles. Fittipaldi et Peterson devront se battre avec une multitude de Marche à moteur BMW, les Surtees, quelques Chevron ou encore les Motul du Rondel Racing…
A noter que pour cette septième manche, comme pour pas mal d’autres, du championnat européen de F2, la course est divisée en deux manches et le classement final se fait en fonction des résultats de celles-ci.
A part ça, comment se débrouille l’équipe « All-star » de la Texaco Star-Lotus ? Eh bien, dans chacune des deux manches, les pilotes ne voient pas l’arrivée, la faute à une surchauffe moteur ou de fuite d’huile. Pour les grands débuts de la 74, c’est raté !

Zappant la manche à Hockenheim. On reverra ces monoplaces 15 jours plus tard en France, sur le circuit de Rouen les Essarts. Un nouveau museau ressemblant à la 72 de F1 est installé, histoire d’être compétitif dans les lignes droites. Mais cela n’a que peu d’effet : les pauvres pilotes sont loin derrière en termes de chronos avec en prime une monoplace endommagée pour Peterson en heurtant les murs en polystyrène (placés sur la piste en pleine ligne droite dans la descente avant l'épingle du Nouveau-Monde afin de créer une pseudo-chicane).

Contrairement à Nivelles, il n’y aura qu’une course officielle. En fait, on divise le plateau en deux (26 engagés, 13 voitures au départ pour la course 1 et 13 autres pour la deuxième) pour former deux épreuves et on réalise un classement final et global par temps de course. Tous les deux présents dans le même « groupe », Peterson doit renoncer après un accrochage alors qu’Emerson Fittipaldi arrivera à terminer la course, mais à la sixième place et trois tours derrière Jean-Pierre Jarier après un multitude de pépins mécaniques. Le pilote brésilien ne sera pas classé au final étant donné qu’il a renoncé lors de la course 1…

Après une participation hors-championnat à Misano (marquée par des fuites d’huile et des ratés moteur des essais à la course…) puis des forfaits à Monza et à Mantorp, les Lotus reviennent à Karlskoga, en Suède, du moins une car Fittipaldi, peu motivé pour piloter une machine pas très fringante et probablement mal remis de son accident à Zandvoort en F1, préfère se concentrer uniquement dans la série-reine des monoplaces où il joue le titre face à la Tyrrell de Jackie Stewart.

Avec un plateau plus réduit que d’habitude, Peterson espère bien briller à domicile. Et ça semble être le cas puisqu’il termine second de l’unique course de l’épreuve (en réalité, deux avec 10 voitures différentes chacune au départ, même principe qu’à Rouen-les Essarts), avec 20 secondes de retard sur la March de Jarier tout de même.
Au final, le local de l’étape finit au cinquième rang par addition de tous les temps. Au moins, on a vu une Lotus 74 classée.
Prochaine étape, le sympathique tracé d’Enna-Pergusa en Italie. La deuxième 74 est de retour avec Dave Morgan, pilote régulier dans ce championnat, au volant. Hormis ceci, pas grand-chose à dire, Peterson finit les deux manches de cette épreuve, mais loin derrière les autres (7e au final), la faute au moteur manquant de patate.

Absente au Salzburgring et au Norising, l’équipe Lotus/ Texaco retente sa chance sur le circuit d’Albi. Dès les essais, c’est encore la galère : Peterson casse son moteur et utilise la voiture de son partenaire pour se qualifier (le nombre d’engagés était élevé sur cette épreuve), ce qui fait que ce dernier doit se contenter de regarder les courses en tant que spectateur !

En course, Peterson utilise encore le châssis de son compère britannique, mais le moteur va casser, une fois encore, et assez tôt lors de cette unique course (donc, pas deux manches et avec toutes les voitures au départ contrairement aux autres) sur cette épreuve. De toutes manières, il était sur le point d’être disqualifié pour avoir utilisé « une autre voiture » qu’en essais ( ?).

La 17e et dernière étape de ce championnat F2 européenne, à Vallelunga, ne permet pas à la Lotus 74 de concrétiser : Morgan et Peterson sont distancés par les March (bien que le suédois termine second dans la première manche) et terminent non-classés au classement final après un double-abandon dans la course 2.

Après ceci, le programme en F2 est définitivement arrêté. La Lotus 74 n’aura pas du tout brillé par ses performances et sa robustesse.
Toutefois, la tenue de route de la machine était plus que bonne. Cependant, le moteur conçu par Lotus est à l’origine de tous les soucis : pas assez puissant face au bloc BMW, pas assez développé, trop cassant pour les autres éléments mécaniques (vibrations) et certainement pas adapté à la monoplace, sa fiabilité était catastrophique pour espérer viser un bon résultat.

Avec la présence du sponsor Texaco, l’ajout de pilotes « cinq étoiles » et l’expertise de l’équipe, Colin Chapman n’aura pas réussi à s’imposer en F2 en 1973. De toutes façons, ce programme F2 n’avait pas trop d’intérêt pour le fondateur de Lotus et puis, celle-ci est championne des équipes en F1 la même année (toujours avec la 72 !), donc ce n’est pas non plus une année entièrement perdue.
Pour 1974, c’est définitivement fini des catégories inférieures en monoplaces. Priorité uniquement à la Formule 1. Ça tombe bien, Chapman et Ralph Bellamy planchent sur la future monoplace destinée à remplacer la 72. Il parait qu’elle est révolutionnaire sur pas mal de points. Mais ça, c’est une autre histoire. Notons enfin que Texaco, déçu de son manque de visibilité au sein de l’équipe (avec JPS qui sponsorise principalement Lotus, pas évident…), quitte l’équipe pour aller chez McLaren. Emerson Fittipaldi fera de même, se sentant pas assez soutenu auprès de Chapman qui semble davantage favoriser Peterson au sein du team.

Fiche monoplace :
Moteur : Lotus 906 2-litres, préparé par Novamotor
Aspiration : atmosphérique
Implantation : central-arrière
Puissance : 275 chevaux à 9000 tr/min
Châssis : monocoque
Boite de vitesses : Manuelle, d’origine Hewland
Transmission : à l’arrière
Pneumatiques : Goodyear

Résultats en compétition
A participé à cinq épreuves en F2 européenne.
Exploitée par Lotus, sous le nom de Texaco Star
Pilotes : Ronnie Peterson, Emerson Fittipaldi, Dave Morgan
5e à Karlskoga (résultat final après addition des deux manches)
Liens/sources
Motorsport-Magazine
Autosport

K.N
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