
Un proto de l’époque du Groupe-C venant de Suède, en voila un sujet qui est à la fois intéressant et exotique. Cette machine n’était pas destinée à affronter directement les Porsche 956 ou la Lancia LC2, mais plutôt les voitures dans la catégorie « inférieure » de l’époque, à savoir celles du « C2 » comprenant les ALD, WM, Tiga ou bien Alba…bref, que des artisans auxquels on peut également ajouter Mazda dans cette catégorie.
L’histoire de cette Groupe-C d’origine scandinave vient d’un ancien pilote, team-manager, préparateur et concessionnaire Porsche à Helsingborg. Bo Strandell est présent en compétition dès l’aube des les années 1960, d’abord derrière un volant, puis progressivement en tant que chef de sa propre structure. Celle-ci préparait des motos de compétition et s’engageait essentiellement dans le championnat local, en Suède, avec des Porsche 911/ 934 et 935. Une tentative d’être impliqué dans le championnat européen de Formule 2 a même été projeté en préparant un moteur pour Anders Olofson en 1981, mais cela n’aboutira pas. L’équipe sera néanmoins présente l’année suivante en engageant une Toleman à moteur Hart.

Ensuite, la Strandell Motorsport s’intéresse au championnat du monde d’endurance. Elle effectuera ses débuts aux 1000km de Kyalami en 1983 avec une Porsche 930 Turbo et fera une autre l’année suivante au Nurburgring. Mais avec une bonne vieille GT et alors que le monde de l’endurance se tourne définitivement vers les Groupe-C, il va falloir trouver autre chose…
Plutôt que de se ruiner pour une Porsche 956 onéreuse (bien que Strandell soit un fidèle de la marque) ou à se battre face à ces protos allemands de front, on va plutôt se contenter de se battre dans la division inférieure…et de construire soi-même sa propre voiture ! Avec les moyens limités, on ne va pas trop se casser la tête chez Strandell : la plupart des éléments seront empruntés sur d’autres machines. Le moteur par exemple, provient de la Porsche 934 (version compétition de la 911 en somme) et le fameux 6-cylindres à plat doté d’un turbo KKK développe environ 530 chevaux. La cylindrée de ce bloc est de 3300cc, c’est tout juste la limite maximale autorisée dans la catégorie « C2 ». La boite de vitesses provient de chez Hewland.
Si les autres pièces mécaniques proviennent certainement de la marque, le proto est basé sur une TOJ dont le châssis fut construit en 1978 quand ce petit constructeur allemand engageait ou vendait à des équipes en endurance ou dans diverses séries de sport-proto accueillant les Groupe-6 (catégorie des protos ouverts qui disparut au profit des Groupe-C en 1982). De plus, ce même châssis n’aurait jamais disputé à la moindre épreuve en compétition bien que la base soit relativement ancienne. Concernant la carrosserie, on en récupère une sur un autre modèle, pas la TOJ bien évidemment (et que les Groupe-C doivent obligatoirement avoir un toit), mais d’un autre constructeur allemand : Lotec. Plus précisément, on récupère la coque et on la modifie d'un point de vue aero afin d'obtenir quelque chose d'inédit. Faute de sources trouvées, on ne sait pas si la coque en question provient de la Lotec M1C (première Groupe-C du petit constructeur) ou de la nouvelle C302 (qui apparaitra en 1985, comme la Strandell)


Le résultat final est plutôt flatteur, celle que l’on nomme Strandell 85, ou Strandell tout court (il semblerait que le chiffre « 85 » n’est pas officiel) sera pilotée par deux nordiques en la personne du suédois Stanley Dickens et du norvégien Martin Schanche, lui-même quadruple champion européen de rallycross (à cette époque). Le programme du Strandell Motorsport en 1985 est clair : le championnat du monde d’endurance (ou de sport-proto) et rien d’autre. Cependant, on ne verra pas le proto pour la première manche de la saison, sur le circuit du Mugello, qui se déroulait au milieu du mois d’avril. Celle-ci n’était, semble t-il, pas tout à fait encore prête.
Il faudra patienter encore deux semaines pour que l’unique Strandell à moteur Porsche construite soit présente pour les 1000km de Monza. Parmi la dizaine de protos de la classe « C2 », la machine venue de Suède fait figure de nouvelle venue avec une autre création nordique : la Nykjaer (du Danemark !). Et comme toute nouvelle machine, les débuts officiels seront difficiles. La fiabilité (notamment avec le moteur) fait défaut et les performances ne sont pas exceptionnelles. A l’issue des essais, Dickens et Schanche ne peuvent faire mieux que de signer le 26e et avant-dernier chrono au général et parmi les C2, à plus de vingt secondes de l’Alba de chez Carma, meilleure représentante de sa classe.

Pour l’épreuve, pas grand-chose à écrire, le moteur casse après trois petits tours, sans que Schanche n’ait pu prendre le volant…Les 1000km de Silverstone permettront à l’écurie et à la voiture de se rattraper après une première prestation plus qu’oubliable. Bien que toujours très en retrait face aux autres C2 en qualifs ‘ (à onze secondes de la Tiga du Spice Engineering, meilleure représentante de la classe), la Strandell profite des multiples ennuis de ses adversaires et malgré une course qui fut tout, sauf facile, le proto blanc terminera l’épreuve à la treizième position finale et surtout, troisième de la catégorie C2 ! C’est pas mal pour la deuxième sortie officielle de cette Strandell même si l’Ecosse C285 vainqueur de cette catégorie est dix-sept tours devant le proto suédois et qu’on est huit secondes au tour moins rapide que les meilleures du lot.

La manche suivante n’est d’autre que les 24 heures du Mans. Pour cette grande épreuve, l’équipe fait appel à Torgye Kleppe pour épauler les pilotes habituels. 19 protos de la catégorie C2 sont engagés pour cette 53e édition de ces 24h dans la Sarthe. Outre les habituels engagés dans le championnat du monde (Alba, Tiga…) , on peut également ajouter WM, Mazda, Gebhardt ou encore Lotec qui apporte sa dernière création, la C302.
Considérant que la Strandell est encore une machine assez neuve et que sa fiabilité reste encore plus que perfectible (défaut récurent pour pratiquement tous les autres protos en C2 à l’époque), tenir le plus longtemps possible semble être un objectif réaliste. Mais durant les essais, le moteur Porsche casse et l’équipe doit déclarer forfait pour la grande épreuve, il n’y a pas de bloc de rechange…Avant ceci, la Strandell avait réalisé un meilleur temps en 4 :05 :930, ce qui n'aurait pas été suffisant pour la qualification…

Après cette grosse déception, on débarque en Allemagne pour les 1000km d’Hockenheim. Et le bilan ne sera pas bien long puisque Dickens et Schanche échoueront à qualifier le proto sur la grille. Bien que n’étant pas la plus lente parmi les C2, il a été décidé de ne pas l’autoriser à prendre part à la course…
Absente pour les 1000km de Mosport, au Canada (déplacement trop lointain pour l’équipe qui ne dispose toujours pas de moyens considérables), on retrouve la Strandell en septembre pour les 1000km de Spa-Francorchamps. Toutefois, les pilotes habituels ont quitté l’équipe tout comme le sponsor Kenwood. Ils seront remplacés par Anders Olofsson et Tryggve Gronvall. Pas trop larguée sur la grille puisque qualifiée en milieu de grille parmi les C2 (à tout de même neuf secondes de la Spice en pole de la classe), la voiture blanche verra sa course terminée au premier quart de l’épreuve, transmission H-S.

La voiture ne sera pas présente à Brands-Hatch, ni pour la tournée asiatique de la fin de saison. Strandell cherche du budget pour continuer le programme avec sa création. Mais les sponsors ne semblent ne pas se bousculer au portillon.
L’équipe sera bel et bien présente au championnat du monde d’endurance en ’86…Mais uniquement aux 24h du Mans. Pendant ce laps de temps, la voiture, un peu plus légère d’une dizaine de kilos, a évolué d’un point de vue aérodynamique (avec une face avant redessinée notamment) et la cylindrée du moteur passe à 2856cc.
Trois nouveaux pilotes se partageront le volant avec Lars Hellberg, Peter Fritsch et Kenneth Leim. Tous les trois débuteront dans la Sarthe…

Avec un nombre de 17 voitures dans la catégorie C2, il va falloir chercher la qualification pour participer à la grande épreuve mancelle. Cette Strandell blanche numéro 106 signe le dernier chrono absolu en 4 :19 :320 ( !!), surement avec peu de tours effectués et des soucis rencontrés. C’est bien évidement insuffisant pour décrocher sa place au départ.
Par la suite, le proto est récupéré par Jurgen Kannacher qui l’engage quelques semaines après les 24h du Mans en Interserie, série originaire d’Outre-Rhin et qui regroupe plusieurs types de prototype (ouvert ou fermé et de générations différentes). Il semblerait que le pilote allemand n’ait utilisé cette voiture qu’à une seule reprise durant la demi-année 1986, selon les sources. La Strandell disparaitra de la scène après cette brève apparition dans ce championnat.

Liens/sources:
Racingsportscars, archives TenTenths,

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