Quand on évoque Carl Haas, qui n’a aucun lien de parenté avec Gene, on pense immédiatement à l’homme tenant généralement un cigare à la main et qui était à la tête de sa propre écurie. D'abord il s'engage dans diverses championnats comme le F5000 ou le Can-AM, puis part en CART à partir de 1983 (avec l’acteur Paul Newman comme associé), le championnat nord-américain de monoplaces.
A la fin de l’année 1984 et alors que Mario Andretti remporte le championnat CART au volant d’une Lola Ford-Cosworth de l’équipe, Carl Haas envisage de se lancer dans un autre championnat de monoplace, mais qui dépasse le cadre nord-américain : la Formule 1 ! Tout d’abord, l’ex-pilote et homme d’affaires américain va trouver facilement un sponsoring avec la compagnie Beatrice (qui est dans le secteur de l’agro-alimentaire). Avec une somme d’argent considérable versée par celle-ci, Haas est à l’abri de tout souci financier et le nom de cette compagnie ornera les flancs de la future monoplace de F1 ainsi que celle en CART dès 1985, en remplacement de Budweiser.
Ensuite, il faut chercher des personnes qui connaissent bien le milieu de la F1. Haas va les trouver aux USA en convaincant Teddy Mayer de s’embarquer dans l’aventure. Le britannique avait dirigé McLaren jusqu’à l’aube des années 1980 avant de partir en CART et de créer sa propre structure, le Mayer Motor Racing. Il est maintenant associé de Carl Haas pour le team F1 dès 1985 et officiera comme directeur de cette structure. Il emmènera avec lui Tyler Alexander qui a longtemps accompagné Mayer (et co-fondé également McLaren) depuis les débuts de l’écurie McLaren. Il officiera dans un rôle de team-manager.
Il reste également à trouver une base en Europe, et c’est dans une vieille usine à Colnbrook (en Angleterre, à l’ouest de Londres) que l’équipe trouvera son bonheur. Par ailleurs, le nom de cette entité sera « Formula One Race Car Engineering », ou FORCE.
Pour la conception de la future monoplace, on recrute l’ingénieur Neil Oatley qui travaillait jusqu’alors chez Williams. Il sera épaulé par John Baldwin et un certain Ross Brawn. Bref, les bases sont globalement solides pour ce projet.
En ce qui concerne le moteur, Haas contacte Ford pour un partenariat exclusif en F1, pour une durée de trois ans. Ce ne seront donc ni les fameux bloc DFV/DFY V8 atmo dépassés, ni les 2.0 turbos préparés par Zakspeed qui propulseront les voitures de l’équipe, mais on parie sur un moteur totalement inédit doté d’un turbo et construit par Cosworth. Le bloc en question est un 4-cylindres en ligne, donnant l’avantage d’être compact.
FORCE compte débuter en GP en milieu de saison 1985 le temps que le châssis et le Ford-Cosworth soient prêts (il faut dire que les travaux ont commencé fin-84 justement, le timing est quand même serré). L’écurie a également convaincu Alain Jones, champion du monde 1980, de revenir dans la discipline après sa dernière apparition début-1983. L’australien a entre-temps couru de temps en temps en sport-prototypes avant d’accepter l’offre alléchante de Haas et de Mayer.
Revenons aux moteurs et les premiers problèmes commencent : la mise au point est extrêmement laborieuse (vibrations, casses…) et il faut se résoudre à mettre en chantier un nouveau moulin aux caractéristiques différentes. Ce sera un bloc V6 qui sera construit et définitivement choisi pour propulser la FORCE/Haas. Cependant, beaucoup de temps aura été perdu et ce nouveau moteur ne sera pas prêt avant 1986…
Tant pis pour FORCE qui a justement la voiture prête pour au moins participer aux derniers GP de la saison 1985. Et en attendant que le V6 Ford-Cosworth turbo soit opérationnel, le team contacte Hart pour leur fournir un moteur provisoire. Il s’agit d’un 4-cylindres d’1,4l turbocompressé crachant à peu près 750 chevaux. Pas trop mal mais ça reste un peu modeste face aux blocs Renault, BMW ou Ferrari. De toutes façons pour FORCE, il s’agit en quelque sorte de mieux se préparer avant 1986.
Pour la monoplace, celle-ci ne s’appelle pas Haas ou FORCE simplement, mais…Lola. Pourtant, le constructeur britannique de voitures de course n‘a absolument rien à voir dans l’affaire, mais comme Carl Haas a de bonnes relations avec Eric Broadley (fondateur de Lola) et surtout, qu’il est le principal importateur de la marque aux USA, l’accord pour utiliser ce nom a été accepté sans aucun problème. N’oublions pas que l’écurie Newman-Haas Racing exploite également des châssis Lola à cette même période.
Alors, cette Lola de son appellation officielle a pour nom THL1 (pour Team Lola Haas) conçue sous la direction de Neil Oatley et de son équipe est plutôt fine, jolie avec sa livrée rouge et bien finie. La monoplace a été finalisée pour pouvoir loger sans problème le petit Hart turbo et Goodyear fournira les pneumatiques. Avec de gros moyens, un staff de bon niveau, un ancien champion au volant et une machine prometteuse sur le papier, on est prêt à parier que FORCE, qui au final s’engagera sous le nom du Team Haas en compétition, n’est pas venu en F1 pour se promener sur le bord de la piste.
Nous retrouvons toute la team débuter en GP en Italie, sur le circuit de Monza qui correspond à la 12e manche du championnat 1985 de F1 et qui se déroulait en septembre. Alan Jones s’apprête à faire son second retour dans les paddocks et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce comeback sera délicat. La voiture est encore trop neuve, manque de grip et subit pas mal de pépins mécaniques durant les essais tandis que le pilote semble être à court de forme en plus de se sentir bien large dans le petit cockpit de la THL1. Il ne signera que le 25 et avant-dernier temps en qualifications, intercalé entre les RAM-Hart et à plus de 9s de la Lotus de Senna.
La course sera brève, naviguant en queue du peloton, Jones renoncera au 4e sur surchauffe moteur. On s’attendait à un peu mieux pour les grands débuts du Team Haas…
On les reverra ensuite pour les trois courses suivantes, qui correspondent en fait aux ultimes manches du championnat. Le scénario sera pratiquement identique qu’à Monza avec des qualifications en fond de grille, des performances médiocres et des soucis mécaniques conduisant Jones à l’abandon à chaque course, plus un forfait lors du controversé GP d’Afrique du Sud (contexte de guerre civile ) où l’australien tombe opportunément malade (version officielle du pilote et des communiqués) peu avant les essais officiels. Pour les spécialistes et les amateurs, l’impression donnée par l’équipe Haas est moyenne, on s’attendait à mieux de leur part même s’ils débutent en F1…
Qu’importe pour l’équipe anglo-américaine, il s’agissait de préparer le terrain pour 1986. Jones sera toujours présent et il y’aura cette-fois une seconde Lola/Haas pour Patrick Tambay, qui fait son « retour » chez Carl Haas puisqu’il a roulé pour ce dernier en Can-Am durant la saison 1980. Le team pourra donc compter sur un duo à la fois très expérimenté et très solide.
Et maintenant quid du Ford-Cosworth ? Eh bien…il n’est toujours pas opérationnel. De plus, la nouvelle réglementation qui réduit la capacité des réservoirs contraint le motoriste à retravailler une fois encore le V6 afin qu’il ne se montre pas glouton. Il va falloir débuter la saison avec les blocs Hart chez Haas…
Les deux premières courses seront sans relief pour le Team Haas, les soucis de fiabilité persistent encore mais Tambay parvient à finir 8e en Espagne. Le V6 est enfin prêt pour la manche suivante, à Imola. C’est un 1,5l qui développe 900 chevaux et qui a l’avantage d’être léger et compact. La monoplace sera redessinée pour pouvoir l’accueillir sous le capot, ce qui ne change rien au fait que la création de Neil Oatley (et ses hommes) reste toujours aussi fine et jolie. Elle se nomme « THL2 » et seul Alan Jones aura le privilège de piloter cette nouvelle monoplace et nouveau moteur pour le GP de Saint Marin, puisqu’il est le pilote numéro un au sein du team.
Qualifié 21e, dix places derrière Tambay et à deux secondes derrière lui, l’australien abandonnera à vingt tours de la fin car le Ford-Cosworth ne finissait pas de surchauffer…
La deuxième THL2 Ford est disponible dès le GP de Monaco. Ce qui ne change pas grand-chose au cas du Team Haas sur la piste. Les voitures rouges sont toujours dans le ventre mou du peloton, le bloc est encore imparfait et casse assez souvent et il arrive que les pilotes soient impliqués dans les contacts et incidents du début de course.
En parlant d’incident, Tambay sera victime de deux belles frayeurs. D’abord à Monaco où en voulant dépasser la Tyrrell de Martin Brundle, il s’accroche avec le pilote britannique, part en tonneau et retombe sur le rail à l’épingle de Mirabeau. Pas de bobo toutefois mais lors du Warm-Up du GP du Canada, le français sort violemment de la piste. Il doit déclarer forfait pour la course et pour la manche suivante, dans les rues de Detroit.
Pour le remplacer, Haas contacte Eddie Cheever (Michael Andretti a été approché, mais la FIA lui refusa la superlicence). Très à l’aise sur le tracé urbain et dans cette voiture, il part 10e sur la grille (très loin devant Jones) alors qu’il découvre la THL2 ! Malheureusement, une de ses roues arrière commence à se détacher et sort de la route…
Les courses se suivent et se ressemblent pour les pilotes Haas. Les performances sont décevantes et le V6 manque à la fois de puissance et de fiabilité. Il faut dire que Ford et Cosworth n’ont également pas la volonté de produire des blocs spécifiques pour les qualifications, ce qui pénalise systématiquement les pilotes sur la grille de départ alors que les équipes Ferrari, celles utilisant un Renault, BMW ou Honda ont un peuvent obtenir un moteur crachant bien plus que 1000 chevaux pour ces séances…
Sur la monoplace, la THL2 n’est pas mauvaise, elle semble montrer un bon potentiel et se montre dans l’ensemble homogène peu importe le circuit visité. Pourtant, les pilotes ne semblent pas apprécier cette machine.
Des progrès se font sentir à partir de l’été, les deux Lola/Haas rallient l’arrivée ensemble pour la première fois en Allemagne même si elles échouent à la porte des points. Tambay signe une jolie 6e place sur la grille en Hongrie bien qu’il ne confirme pas en course. En Autriche, le Team Haas signe ses premiers points grâce à la 4e place de Jones et la 6e de Tambay (épreuve marquée par pas mal d’abandons). L’australien récidivera en Italie avec le point de la 6e place.
Avec 6 points marqués en 2 GP, on se dit que le Team Haas décolle pour de bon au regard de leurs moyens. Pourtant, les performances n’impressionnent pas les spécialistes, et dans l’ensemble, il faut quand même avouer que les progrès sont très légers, que la monoplace ne sort toujours pas du milieu du tableau malgré des améliorations et la venue d’un jeune ingénieur du nom d’Adrian Newey (oui, vous pouvez dire que Brawn et Newey ont travaillé ensemble, pour un bref moment certes) qui a apporté également quelques ajouts. Il faut dire que le V6 Ford-Cosworth reste l’un des points faibles et pas mal de temps ont été consacrés à fiabiliser l’ensemble…
En vrai, si le Team Haas a l’impression de faire du sur-place depuis le début de saison, c’est qu’il y’a un souci avec le sponsor/partenaire principal Beatrice. Il y’a eu un changement au sein du directoire au sein du groupe américain et ces derniers, peu enthousiasmés par le programme Haas/ FORCE/ F1, décident de résilier le partenariat, et ce, avant même l’ouverture du championnat. Bien que le nom soit toujours présent sur la monoplace, Beatrice ne versera pratiquement rien du tout au Team Haas (et à celle qui court en CART parallèlement). Voila pourquoi il y’a comme une sorte de stagnation au fur et à mesure que les épreuves passent et que la saison s’approche de la fin.
Carl Haas et Teddy Mayer tentèrent bien de trouver un autre partenaire majeur pour au moins sauver la fin de saison et de continuer pour 1987, il n’en est rien. L’existence de cette équipe semble terminée à la fin de l’année 1986 et le moral est en berne du coté du staff et des pilotes. Trainant sa mauvaise humeur et son surpoids chaque weekend, en mésentente avec Teddy Mayer et généralement en retrait face à son coéquipier en termes de perfs pures, le second comeback d’Alan Jones n’aura pas été une vraie réussite. En plus d’être marqué par l’accident mortel d’Elio de Angelis (où l’Australien a été le témoin), il semble se retirer pour de bon de la F1. Idem concernant Tambay qui songe à raccrocher les gants pour de bon...
Les dernières courses seront sans relief pour le Team Haas. La motivation n’est plus là et les blocs Ford-Cosworth ne cessent de se montrer aussi poussifs que fragiles. Hormis une 8e place au départ pour Tambay au Mexique, la dernière course de l’année sera marquée par un abandon pour Jones (moteur HS) et une arrivée non-classée pour Tambay. Cette ultime manche de la saison 1986 est également la dernière pour l’écurie, après 20 points marqués. Au classement final, Lola/Haas termine 8e avec 6 points.
Par la suite, l’entité FORCE est dissoute et Carl Haas retournera à ses chères CART. L’usine de Colnbrook est reprise par Bernie Ecclestone, alors patron de Brabham (et de la FISA). Quant au V6 Ford-Cosworth, l’écurie Benetton récupérera ce partenariat exclusif pour la saison 1987. Neil Oatley rejoindra McLaren tandis que Ross Brawn et Adrian Newey partent respectivement chez Arrows et Leyton House/ March. Fin sans gloire d’une structure qui promettait pas mal de choses intéressantes sur le papier.
Liens/sources
Archives Autosport, F1i Magazine...
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