A l’aube des années 80, une Ferrari engagée en Groupe-5 débarque dans diverses épreuves d’endurance. La 308 GTB Turbo Carma, issue d’une initiative privée, ne rencontrera pas le succès..
A la fin de l’année 1973 et après avoir manqué de peu la victoire au Mans et le titre dans le championnat du monde des voitures de sport face à Matra, Ferrari se retire officiellement des courses d’endurance afin de se concentrer exclusivement en Formule 1. Il est désormais quasiment impossible de briller sur deux fronts, la marque au cheval cabré préfère miser sur le monde des monoplaces.
Nous verrons encore des Ferrari dans cette discipline durant les années suivantes, que ça soit les 365 Daytona, les Dino 308 ou les 512 BB engagées par le North American Racing Team, Charles Pozzi et d’autres équipes privées. Bien évidemment, ces machines ne gagneront pas d’épreuves dans cette discipline, mais feront le plaisir du public que ça soit aux 24h du Mans ou dans d’autres courses de moindre envergure…
Carma
Pilote de très bon niveau en endurance ou en tourisme, Carlo Facetti remporte le championnat européen des voitures de tourisme (ETCC) en 1979 à bord d’une BMW 3.0 CSL du Jolly Club.
Durant cette saison, il était accompagné de son compatriote Martino Finotto, lui-aussi titré dans cette série cette année-là. A l’instar de Finotto, c’est un bon pilote, mais il est également propriétaire d’une équipe (qui avait brièvement couru en F1 en 1974, avec une Brabham BT42) et chasseur de sponsor à ses heures. D’aillleurs, on peut noter que durant la saison 1979, la BMW CSL était davantage une machine exploitée par sa propre team avec le soutien le Jolly Club…
Ces deux pilotes ont pratiquement couru ensemble durant la décennie 1970, pas étonnant qu’ils envisagent de créer leur propre structure : Carma FF (comme Carlo et Martino, FF pour les initiales de leurs noms). Mieux : en début d’année 1979, ils vont présenter leur propre création, on y reviendra dans pas longtemps…
Basée à Milan (dans les mêmes ateliers que chez Achilli Motors, où Facetti est également impliqué dans l’histoire), Carma FF va avoir une idée : construire eux-mêmes leur propre machine qui va courir dans les épreuves d’endurance ou de tourisme, et qui sera inscrite en Groupe-5, à savoir des GT « Silhouette » bardées d’aéro et de puissance brute où la réglementation était pratiquement libre à cette époque, à condition que la carrosserie se base sur un modèle de série tout en gardant l’emplacement du moteur ainsi que de conserver les portières ou le pare-brise…
L’idée parait folle, mais pas impossible si on considère que Facetti est également un excellent metteur au point et ingénieur en herbe (il sera aidé de ses deux frères pour ce projet) et que Finotto déniche des fonds et des sponsors pour l’opération. Enfin, Achilli apporte sa contribution pour la partie technique et le Jolly Club soutient l’opération financièrement parlant et en se chargeant de l’exploitation de la future voiture.
La voiture
Celle-ci sera basée sur la Ferrari 308 GTB, berlinette sportive « d’entrée de gamme » apparue en 1975 et qui connaitra le succès, que ça soit commercial (pour Ferrari) ou médiatique (via la série Magnum) et qui connait déjà une carrière sportive via le rallye depuis 1977, avec la version Groupe-4 préparée par Michelotto.
Bien évidemment, celle conçue par Carma n’aura rien à voir avec la version de route ou de rallye. Les modifications effectuées (sans le soutien de Ferrari, malgré l’aide de l’ingénieur Colombo qui conçoit les moteurs au sein de la marque) sont aérodynamiques avec l’ajout d’un aileron arrière et d’autres éléments qui élargissent la voiture de longueur comme de largeur. A noter également que l’équipe a choisi comme base une 308 des premiers millésimes avec une carrosserie initiale en polyester car celle en acier traditionnel (de 1978 à 1985) est plus lourde en termes de masse.
Coté mécanique, le moteur V8 Dino est transformé : Facetti ajoute deux turbocompresseurs. Un choix pas illogique pour notre pilote-ingénieur car il a déjà eu la même l’idée lorsqu’il développait la Lancia Stratos Groupe-5 quelques années auparavant (doté du même moteur). Parallèlement à ceci, il intègre un système d’injection d’origine Kugelfisher et d’un intercooler (ou échangeur d’air) situé à proximité du cockpit. Ces modifications permettent au moteur d’atteindre plus de 750 chevaux en termes de puissance, voire bien plus dans sa configuration qualification avec pas loin de 900 ch ! La 308 Turbo est née, le tout construit de manière privée ! Inutile de préciser que cette machine n’a désormais plus rien à voir avec la 308 GTB de série. Enfin, la voiture pèse à peu près 1030kg, l’équipe a réussi à enlever près de 200kg, mais ca reste élevée en comparaison avec d’autres voitures du Groupe-5, comme la Porsche 935, la Lancia Beta Montecarlo Turbo ou la Toyota Celica LB Turbo.
Présentée pour la première fois au public en février 1979, la 308 Carma effectue ses premiers tours de roue quelques semaines plus tard.
Brutale par son look et par ses performances, la voiture est également brutale à piloter, ce qui contraint l’équipe à reporter les débuts de la 308 et d’améliorer certains points. En attendant, Facetti et Finotto feront l’ETCC et quelques épreuves d’endurance pour l’année en cours…car oui, ce bolide ne participera à aucune épreuve durant l’année…
Deux ans plus tard…
La 308 Carma fera des tests en attendant ses débuts en compétition reporté pour 1980. A la base, elle devait participer aux 6 heures du Mugello en avril dans le cadre du championnat d’endurance, mais l’équipe (inscrite sous le nom du Jolly Club) décide de ne pas inscrire la 308. A la place, Facetti et Finotto piloteront une Lancia Beta Montecarlo (Groupe-5) également exploitée par le Jolly Club. Même histoire aux 1000km de Monza et aux 6 heures de Vallelunga en septembre, bien que la 308 a participé aux essais dans les deux cas. Le manque de mise au point et certainement de moyens pour la faire développer, car rappelons qu’il s’agit d’une initiative privée malgré le soutien du Jolly Club.
La voiture continuera d’effectuer des tests en dehors de toute compétition. Hormis quelques ajustements aéro, elle est désormais dotée de plus gros freins. Parallèlement à ceci, Facetti et Finotto continuent de participer aux épreuves d’endurance avec la Lancia.
Il faudra attendre le début du mois de février 1981 pour enfin voir la 308 Carma Turbo participer à une épreuve, lors des 24 heures de Daytona. Engagée en catégorie GTX (incluant le Groupe-5 notamment), la machine italienne doit se confronter à pas mal de Porsche 935, une BMW M1, quelques Lancia Beta Montecarlo (deux officielles et une du …Jolly Club) ainsi qu’avec des bolides « locaux » comme la Chevy Monza ou la Mustang.
Si la concurrence est là, Facetti et Finotto (les pilotes de la 308) se montrent compétitives : 6e rang sur la grille derrière cinq 935 et devant les Lancia. La course s’annonce meilleure, Carlo Facetti prend un excellent départ et se montre comme le plus rapide en course…avant de rencontrer un problème électrique au quatrième tour. Fin de la partie…
Prochaine étape : les 6 heures du Mugello en avril, quatrième manche du championnat du monde d’endurance. Face à un plateau moins fournie sur cette course, l’équipe Carma / Jolly Club peut espérer un bon résultat, mais comme à Daytona, la 308 Turbo casse très tôt en course : souci moteur après moins d’une heure de course.
En fait, les épreuves se suivent et se ressemblent, la machine est compétitive, mais absolument pas fiable. Des 1000 km de Monza aux 6h de Silverstone en passant par le Nurburgring Nordschleife (où elle a renoncé avant d’avoir pris le départ…), la 308 renonce toujours à chaque début de course. C’est l’une des raisons auxquelles Facetti et Finotto renoncent à l’engager aux 24h du Mans.
Au mois de mai, la 308 Carma participe à une petite course à Vallelunga dans le cadre du championnat italien de Groupe-5. Face à une concurrence bien maigrichonne, Carlo Facetti s’impose sans broncher. Première victoire de la Ferrari 308 Turbo dans une course de 20 tours !
La suite de la saison ne sera pas exceptionnelle, pour la première fois, Carma/Jolly fera une escale dans le spectaculaire championnat allemand de tourisme, le DRM, où seules les voitures du Groupe-5 sont autorisées. Voyant les capacités de la Ferrari dans des courses « sprint », l’équipe participera au meeting Salzburgring.
Sur ce tracé plutôt sinueux et face à une kyrielle de M1, de 935 ou de quelques Ford Capri, Carlo Facetti se débrouille bien aux essais : 4e position. Mais en course, pas de surprises : pépins électriques après six boucles sur les 25 au total…
On reverra enfin le bolide en novembre dans le cadre des 9h de Kyalami. Avec un plateau intéressant dans cette course hors-championnat (une Porsche 936 du Groupe-6 : un proto ouvert ainsi que deux Lancia Montecarlo plus deux Porsche 935 coté Grp-5), la 308 se montre parmi la plus véloce dans sa catégorie…avant de casser son moteur en cours d’épreuve.
Ce sera la dernière fois qu’on verra cette voiture en compétition. Une participation aux 24h de Daytona 1982 était prévue, mais devant le manque cruel de fiabilité de la Ferrari, Facetti et Martino Finotto préfèrent jeter l’éponge. Les couts pour améliorer leur machine sont trop importants et à cette période, les voitures du Groupe-5 sont condamnées à disparaitre avec l’introduction des protos du Groupe-C dans le paysage de l’endurance.
Performante parmi les autres machines dans sa catégorie, la 308 Turbo Carma aurait réellement mérité un meilleur sort en compétition. Qui sait avec le soutien officiel de Ferrari ou avec davantage de moyens…
Fiche performance :
Moteur : V8 2927cc
Aspiration : turbocompressé (x2) d’origine KKK ?
Implantation : central-arrière
Puissance : minimum 750 ch, maxi plus de 900 à plus de 8500 tr/min
Châssis : basée sur la 308 GTB de série, carrosserie en polyester.
Boite de vitesses : manuelle 5 vitesses
Transmission : propulsion
Poids : 1030 kg
Dimensions : ?
Pneumatiques : Pirelli
Résultat en compétition
Engagée par Carma FF, mais a couru sous le nom du Jolly Club
Prévue pour participer à quelques manches en 1979 et 1980, mais reporté à 1981
Une victoire, dans le championnat italien de Grp 5 à Vallelunga
Abandon aux 24h de Daytona et dans plusieurs autres épreuves du championnat du monde d’endurance.
Abandon au Salzburgring, manche du championnat de DRM
Liens/sources:
K.N