Celle qui aurait pu remplacer l'Escort en rallye ou devenir la GT-40 dans cet environnement...
A l’aube des années 1970, Ford est présent sur à peu près toutes les séries en sport-auto. Aux USA, citons sa présence en NASCAR, en Trans-Am ou en USAC (Indycar en somme) en tant que motoriste. Plus près de chez nous en Europe, la marque apparait en tourisme via la Capri, en F1 avec les moteurs V8 développés par Cosworth ou en endurance avec les GT-40.
Et quid du rallye ? Présente de manière officielle (ou semi) depuis le milieu des années 1960, la marque à l’ovale est toujours présente à la fin de cette décennie avec des Escort Twin-Cam, populaires et performantes outre-Manche, mais aussi ailleurs…
Avec Roger Clark, Hannu Mikkola, Ove Anderson ou encore Timo Makinen comme pilotes, l’Escort TC truste les victoires sur le vieux continent. Cela dit, elle avait fort à faire face à des nombreuses rivales, et notamment aux voitures à moteur arrière, comme la Porsche 911 ou l’Alpine A110.
De conception plutôt classique (propulsion avec moteur avant notamment), l’Escort ne tient pas la cadence à plusieurs moments. La déception au rallye du Monte-Carlo 1970 où la meilleure Escort, celle de Roger Clark, n’est que cinquième au classement général. Ceci a certainement été l’élément déclencheur qui a poussé le département compétition de la branche britannique de Ford, basée à Boreham, à imaginer une machine qui fait mieux que l’Escort.
Sous l’impulsion du directeur de compétition Stuart Turner, on pense à une voiture inédite, agile et légère, et surtout dotée d’un moteur en position central-arrière. On peut dire que Ford voulait une sorte de GT pour les spéciales de rallye…et c’est exactement ça : pourquoi ne pas créer un modèle exclusivement pensée pour la compétition ? La Lancia Stratos est battue de quelques temps sur ce point ! On envisage aussi de créer des versions sur route, prêtes à être utilisée pour un usage civil. Reste à produire au moins 400 exemplaires pour espérer obtenir l’homologation en Groupe-4 (classe principale dans cette série à l’époque), chose indispensable pour participer aux rallyes majeurs.
En plus de Ford UK et plus précisément du service compétition, incluant Turner, l’un des pilotes fidèles de la marque, Roger Clark, va également participer au développement de cette machine. Pour le reste, on contacte Ercole Spada pour le design (du moins il a été consulté), Len Bailey (un des personnages à l’origine de la GT40, ou de la Honker par exemple) pour le développement du châssis et de la carrosserie. Venant de Ford Motorsport Allemagne, Jochen Neerpasch a également été consulté pour ce projet. Enfin, en plus de Roger Clark, Hannu Mikkola et Timo Makinen ont également été appelés pour suivre de loin ce projet.
La carrosserie est en fibre de verre pour optimiser la légèreté. La boite de vitesses provient de chez ZF et notons également que pas mal d’éléments proviennent des autres modèles Ford, que ça soit de série ou de compétition pour des raisons de cout. Reste la question du moteur, et on hésite un peu : faut -il prendre les V6 Cologne et Essex, déjà aperçus sur la Capri ou choisir le 4-cylindres BDA ? Dans un premier temps on va opter pour la première option (V6 Cologne) et on gonfle la puissance à 240 chevaux pour l’occasion.
Le développement et la construction va durer durant l’année 1970. En parallèle, Ford engage toujours des Escort dans les épreuves européennes, et continue de développer, voire améliorer (et se disperser ?) celle-ci, mais on y reviendra après…
La nouvelle arme de Ford en rallye, qui s’appelle GT70, est dévoilée au public au Salon de Bruxelles en janvier 1971. Sous son nom faisant référence à la GT40 d’endurance cache une voiture compacte et originale. Comme annoncé, le moteur est en position central-arrière et ne ressemble en rien aux autres modèles de la gamme Ford.
Plus intéressant est sa taille compacte, très compacte même : sa longueur est à peu près égale à celle de l’Alpine A110 (3,8m). Sa légèreté (moins de 800kg) et son look aussi ne passent pas inaperçu, on croirait que la GT70 sort tout droit des courses de sport-protos/ GT et c’est voulu par les concepteurs : on se veut ambitieux et impatient de tout écraser dans les spéciales.
Il est évidemment un peu tard pour espérer la faire débuter au Monte-Carlo (qui se déroulait au même moment), mais Ford UK espère au moins la faire débuter en compétition le plus rapidement possible.
Toutefois, tout ceci prendra un peu de retard. La GT70 des soucis d’entrée : en développement continu depuis 1970, les ingénieurs à Boreham et Roger Clark ont longuement testée cette voiture…et constatent qu’il y’a encore du travail de mise au point. Le châssis manque de rigidité, le comportement est imparfait et surtout, ses performances son décevantes face à l’Escort…
De plus, l’habitacle de la voiture est trop étriqué, ce qui pose des problèmes à certains équipages en plus d’intégrer au forceps des équipements. La forme originale et la conception de la GT70 font qu’il est également impossible d’installer un plus gros radiateur à l’avant.
Autre problème : le V6 est trop lourd et casse totalement l’équilibre de la voiture. L’implantation du 4-cylindres, plus léger tout en étant à peine moins puissant que le V6, a également été testé. Mais cela affecte les performances globales de la GT70.
Le temps passe, le développement se poursuit et il faut bien la faire débuter en compétition un jour ou un autre. Il faudra attendre le mois de septembre 1971 pour voir la GT70 se lancer dans le grand bain, et plus précisément lors de la Ronde Cévenole.
Pour ce rallye particulier, car celui-ci est en fait une grande boucle de 40 km sur plusieurs tours (divisés en spéciale), sur asphalte, l’indéboulonnable Roger Clark (sans copilote pour cette épreuve, c’était autorisé pour cette occasion) pilotera l’unique GT70 engagée par Ford UK. Engagée dans la classe « Groupe-6 », celle autorisant les machines n’ayant pas encore obtenu leur homologation, la curieuse machine de Ford sera confrontée à la toute nouvelle R12 Gordini pilotée par Bernard Darniche, une Alpine A110 profondément modifiée plus deux protos telles que la Simca CG et la Lola T212.
Très rapidement, la GT70 rencontre une multitude de pépins, d’abord la voiture souffre d’un comportement très délicat, puis ce sont les pépins électriques, de freins, de transmission et de moteur qui vont apparaitre. Ce dernier va finir par casser durant l’épreuve, obligeant Clark à renoncer…
Une semaine plus-tard, un second exemplaire de la GT70 engagée par Ford Allemagne débarque pour le Tour de France Auto avec François Mazet (pilote de monoplace) au volant. Il aura pour copilote un certain Jean Todt. Pour cette épreuve marathon mêlant spéciales de rallye/course de cote et circuits fermés (incluant le Paul-Ricard ou même le Nurburgring pour cette édition), la voiture sera toujours engagée dans une catégorie expérimentale comprenant Groupe-4, machines non-homologuées (comme les Ferrari 512M, une Corvette et des 911S) ainsi que des sport-protos (via la Matra MS650).
Le début d’épreuve se passe bien pour Mazet, il pointe dans les quatre premiers du classement général. La machine pouvait espérer signer un gros résultat avant que quelques soucis et une sortie de route dans les Alpes mettent fin à ces espoirs…
A la fin de l’année, la situation est quelque peu confuse chez Ford, la GT70 a plus déçu qu’autre chose malgré quelques perfs intéressantes sur le bitume, le développement prend encore trop de temps pour corriger les défauts sans compter le fait qu’il faut rallonger le budget.
Dans le même temps, et comme on l’avait mentionné, l’Escort continue à être développé. En intégrant le bloc BDA sur cette voiture, les performances de celles-ci vont énormément s’améliorer. Celle que l’on nomme Escort RS1600 s’impose à plusieurs reprises et fait plus que douter Ford sur l’avenir de la GT70.
Finalement, il est décidé d’abandonner le programme, sous la pression de la maison-mère aux USA (selon certaines sources). Etant donné que l’Escort RS1600 se débrouille très bien et surtout, qu’elle est dérivée de la voiture de série, Ford estime qu’il vaut mieux se focaliser sur cette machine que la GT70 qui rencontre d’ailleurs des soucis d’homologation. Tout ça pour ça…
Bien sûr, la marque à l’ovale a vite baissé les bras devant les soucis rencontrés dans ce programme, mais peut-être que la GT70 aurait pu avoir une toute autre destinée, à l’instar de la Lancia Stratos qui viendra un peu plus tard…
Malgré ceci, on pense toujours à la produire en série, en modifiant un peu la voiture et en dégonflant la puissance du V6. Mais entre les problèmes d’homologation, les couts de production et de vente importants, le peu d’intérêt donné à ce programme depuis ainsi que les désaccords entre les antennes de Ford (Angleterre et Allemagne : qui va la développer ? La produire ?), cette idée passe également à la trappe. Six GT70 ont été construites, modèles de course comprises.
La voiture continuera toutefois à courir en 1972. Ford France a récupéré un exemplaire, change la boite de vitesses pour celle d’origine Hewland et troque le V6 contre le 4-cylindres BDA de 2 litres. Un choix qu’aurait surement dû faire la marque à la base en l’améliorant un peu. Mais il faut attendre la fin de l’été pour la voir en piste et Ford France engage une Capri pendant ce temps…
Avec Guy Chasseuil au volant et avec cette GT70 jaune sponsorisée par BP (et toujours engagée dans la catégorie « expérimentale » incluant les non-homologuées), on verra l’équipe participer à la Ronde Cévenole, au Tour de Corse ainsi qu’au Critérium des Cévennes. Ces trois participations se solderont par autant d’abandons mécaniques.
Ford France engage à nouveau la GT70 dans quelques épreuves, toujours centrées dans l’hexagone, avec enfin un résultat significatif : deuxième à la Ronde Internationale du Vercors, unique fois où on verra la machine terminer un rallye.
Après ceci, la GT70 est définitivement rangée au placard et termine sa carrière en toute discrétion.
Peu connaissent ou se souviennent de son existence, mais sur le papier, l’idée était juste géniale. Manquait juste la volonté de la part de Ford…Petite consolation : on peut toujours piloter cette machine sur Ford Racing 3 ou encore sur Forza Horizon.
Fiche auto
Moteur : V6 2600cc ou 4-cylindres BDA 2000cc 16 soupapes
Aspiration : atmosphérique
Implantation : central arrière
Puissance : +/- 240 chevaux, plus de 200 sur le BDA
Voiture : châssis tubulaire, carrosserie en fibre de verre
Boite de vitesses : manuelle 5 vitesses, d’origine ZF, puis Hewland
Transmission : propulsion
Poids : 760 kg
Dimensions : 3,89 m (L) x 1,7 m (l)
Pneumatiques: Dunlop
Liens/sources:
https://newsdanciennes.com/concepts-et-etudes-ep-14-ford-gt70-du-mans-au-rallye/ https://fordauthority.com/2020/06/ford-gt70-was-supposed-to-be-the-ford-gt-of-rally-car-racing/
K.N
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