Petit sujet sensible pour ce tout début du mois d'aout: doit t-on classer la Ford RS200 parmi les Fail-Auto? La machine ne manquait pas de gueule et d'atout pour s'imposer en rallye....sauf qu'elle arrive au moment où les fameuses Groupe-B entament leur ultime année d'existence ! Voici un nouveau sujet consacré aux opportunités manquées et on commence par la RS200.
Alors que les fameuses machines du Groupe-B s’implantent dans le monde du rallye, Ford ne participe pas à la fête alors que ses concurrents (Audi, Lancia, Toyota, Opel, Nissan et plus-tard Peugeot) sont déjà présents dans le championnat mondial. Les raisons ? Du temps et de l’argent perdu à développer l’Escort RS 1700T (et RS 2300) qui devait être le porte-drapeau de la marque…mais le projet est arrêté en début d’année 1983, il faut quelque chose de bien plus ambitieux et qui exploite au maximum les libertés de la réglementation du Groupe-B.
Ce nouveau projet dirigée par la branche motorsport de Ford UK (basée à Boreham a pour objectif de briller sur la scène des Groupe-B, mais aussi de redorer l’image de la marque après l’échec du projet de l’Escort RS1700T. Pour cela, on fait appel à plusieurs préparateurs ou autres marques. Pour la voiture, on fait appel à l’ingénieur de F1, Tony Southgate. Ce dernier se chargera de la conception de la voiture. Brian Hart va tenter d’améliorer le moteur BDT (déjà aperçu sur l’Escort RS1700T), Ghia (racheté par Ford en 1973) s’occupera de la carrosserie de la voiture, Tickford de la production…Bref, il y’a du très beau monde qui s’occupera de la toute nouvelle Groupe-B de la marque à l’ovale.
Après que des prototypes aient déjà roulé durant l’année 1984, la machine est dévoilée au public au salon de Turin en novembre. Son nom ? RS200.
On peut dire que la machine est totalement différente que l’Escort RS1700T et bien plus radicale. En dehors de son look original et ne ressemblant à rien aux autres modèles Ford (sinon les phares arrière de la Sierra), la RS200 veut se frotter à ses concurrentes et le fait bien savoir : le moteur BDT est profondément retravaillé (légère hausse de la cylindrée) et se voit doter de culasses provenant de chez Cosworth. Avec l’ajout de turbo, il crache plus de 420 chevaux. Surtout, il est installé en position central-arrière comme sur les Peugeot 205 T16 ou Lancia Delta S4 afin d’obtenir une répartition des masses idéale.
Quant à la voiture en elle-même, le châssis est tubulaire et sa carrosserie et en fibre de verre et de plastique. Enfin, élément désormais quasi-indispensable en rallye, la RS200 est équipée de la transmission intégrale.
Plus intéressant est le positionnement du moteur hormis son implantation et du fait qu’il soit situé devant l’essieu arrière, celui-ci est légèrement incliné sur la droite et la RS200 a la particularité d’avoir pratiquement deux arbres de transmission. Un procédé complexe qui permet d’obtenir un meilleur équilibre sur la voiture.
Plutôt compacte et basse, la RS200 veut également miser sur son équilibre et sa maniabilité pour s’imposer. En attendant, les premiers essais sont prévus pour 1985 et on espère la faire débuter officiellement au championnat mondial des rallyes à la fin de cette même année. En tout cas, en plus de ceci, on va produire les 200 exemplaires de série nécessaire à l’homologation en Groupe-B (d’où le nom de la machine).
Toutefois, le programme prend du retard, du moins en ce qui concerne l’homologation car les essais se passent conformément au calendrier de Ford. Malcolm Wilson est régulièrement au volant durant cette période. La voiture fera sa première apparition en compétition en été 1985, au Lindisfarne Rally. Dans ce rallye (du championnat national britannique, qui n’est pas la série principale de rallye Outre-Manche) qui accepte les machines non-homologuées, Wilson domine ce rallye et remporte aisément celui-ci face à une concurrence assez modeste.
Cependant, l’homologation pose toujours problème et la RS200 ne l’obtiendra qu’en début d’année 1986. De plus, la voiture n’est pas tout à fait au point : le moteur est creux à bas-régimes et du fait de sa conception plutôt complexe, le poids est un peu plus élevé qu’espéré (on n’est pas loin des 1100kg, 1080 précisément. C’est plus que pas mal d’autres Groupe-B). De plus, Malcolm Wilson quitte l’équipe pour aller chez MG, ce qui n’est pas un souci car Ford va recruter un pilote très expérimenté en la personne du suédois Stig Blomqvist, lui-même ancien pilote Audi et champion du monde 1984. Le second pilote sera un autre suédois, Kalle Grundel. Ford prévoit un programme assez large pour la RS200 avec une participation à la majorité des épreuves du mondial et la vente de ces machines à des clients afin de faire briller celle-ci dans les rallyes locaux…
Après quelques autres rallyes d’exhibition au tout début de l’année 1986, la RS200 débute enfin au championnat mondial à la fin du mois de janvier lors du rallye de Suède, seconde manche du calendrier. C’est également le grand retour de Ford en championnat après plusieurs années d’absence alors que les voitures du Groupe-B existent déjà depuis plus de quatre saisons ! Justement, le plateau de ce Groupe-B est somptueux : il y’a les Peugeot 205 T16, les Lancia Delta S4 sans oublier les Austin/ MG Metro 6R4 et les Citroen BX 4TC officiels.
D’entrée de jeu, les Ford se comportent plutôt bien, Blomqvist lutte même pour le podium. Malheureusement, le moteur casse en début de la deuxième journée. Heureusement, son compatriote Grundel remonte petit à petit et grâce aux soucis de ses concurrents, termine troisième à l’issue de ce rallye enneigé. Première épreuve au mondial et premier podium pour la RS200 !
Plus d’un mois après, on part au rallye du Portugal pour la troisième manche de ce championnat. En plus des deux RS200 officielles, une troisième voiture apparait pour cet événement. Bien qu’engagée sous la bannière officielle de Ford, elle est exploitée par l’équipe Diabolique Motorsports. Elle sera pilotée par le local Joaquim Santos, à cette époque triple champion dans son pays et fidèle à la marque Ford.
Dès la première spéciale, les spectateurs se ruent en nombre, certains se montrent indisciplinés au point que les voitures frôlent le public à plusieurs moments. Et ce qui devait arriver arriva :
Probablement surpris par cette foule, et pas encore à l’aise avec une machine de Groupe-B (en plus de n’avoir rien à voir avec Escort Groupe 4), Santos perd le contrôle de sa machine après trois kilomètres et fauche les spectateurs. Trois personnes perdront la vie et une trentaine d’autres seront blessés (Santos et son copilote sortent indemnes). Cet accident provoquera le retrait des équipes officielles pour la suite du rallye (incluant Ford) afin de dénoncer la sécurité toute relative (et par respect pour les spectateurs décédés) dans ce rallye…
Ce sera le début d’une série noire en rallye. Ford profite de ce moment pour améliorer sa RS200 et décide de ne pas participe au (tragique) Tour de Corse. Cette voiture fera parler d’elle au Hessen Rally, manche du championnat d’Allemagne qui se déroulait fin-mai. Disputant cette épreuve à titre privé, le pilote de F1 Marc Surer pilote cette Ford et lutte pour la victoire face à la Peugeot de Michèle Mouton. Hélas, le suisse sera victime d’un terrible accident en cours d’épreuve et sortira grièvement blessé. Son copilote Michel Wyder ne survivra pas…
Suite à tout ceci, la FIA décide de bannir les voitures du Groupe-B à partir de l’année prochaine. Le programme de la RS200 en compétition commençait à peine que celui-ci est déjà condamné à la fin de l’année !
En attendant, Ford fait son retour au mondial en Grèce, pour le périlleux rallye de l’Acropole qui se déroulait début juin. Parfaitement à l’aise sur ce rallye cassant grâce aux caractéristiques de la voiture (qui a été un peu améliorée depuis), les deux pilotes sont dans le coup pour la gagne, mais Blomqvist sort de la route et Grundel rencontre un souci mécanique : double-abandon. C’est dommage car il s’agit surement de l’unique opportunité de s’imposer au championnat.
Par la suite, le programme est quelque peu « gelé », la fin du Groupe-B bouleverse les plans de Ford qui ne ressortira les RS200 que lors de l’avant-dernière manche du mondial, au RAC Rally (Grande-Bretagne) en plein mois de novembre. Quatre voitures sont engagées : deux avec les titulaires habituels et les deux autres pour Stig Andervang et Mark Lovell.
Blomqvist semble capable de jouer le podium avant d’être stoppé par une casse du turbo. Seul Grundel verra l’arrivée, à une cinquième position. Fin de l’histoire de la RS200 au mondial.
Le programme aura donc été très court. Qu’il est bien dommage que la RS200 ait commencé sa carrière très tardivement et que Ford n’ait pas pensé à développer une Groupe-B radicale d’entrée…La machine avait montré du potentiel lors de ses sorties au championnat du monde des rallyes, nonobstant les soucis de jeunesse (fiabilité) et des défauts qui n’ont pas été tous résolus (et pour cause).
Au moment où il a été annoncé que les Groupe-B vont disparaitre, Ford planchait sur une version sensiblement modifiée de la RS200 : la RS200 E (pour évolution). Les suspensions et les freins ont été améliorés et le moteur BDT voit sa cylindrée une nouvelle fois augmenter tout comme sa puissance : on frôlerait les 500 chevaux. Il était prévu de la faire débuter en compétition début 1987.
Il semblerait également qu’une version Groupe S, catégorie qui devait prendre le relais des Grp-B à l’horizon 1988 avant d’être annulé, soit prévue. Cette version de la RS200 voit son centre de gravité abaissé et son turbo retravaillé pour limiter au maximum le temps de réponse.
Elle aurait pu rivaliser avec Peugeot ou Lancia en 1987 si le Grp B a été maintenu. On ne saura jamais…Toutefois, la RS200 s’est bien comporté sur les rallyes européens (hors mondial) et à une échelle locale. Citons par exemple en Belgique avec Robert Droogmans, aux Pays-Bas avec Stig Andervang, en Grande-Bretagne avec Lovell. Tous ont la particularité d’être titrés en cette année 1986 dans ces championnats !
D’autres ont glané des victoires, comme Joaquim Santos justement sans son pays ou Antonio Zanini en Espagne.
Les RS200 continueront encore de courir dans les championnats où les Groupe-B ne sont pas bannis, comme en UK National et dans le championnat d’Espagne sur graviers, avec un certain Carlos Sainz jusqu’en 1988.
La voiture a également couru dans les courses de cote, à Pikes Peak (en 1987 avec Malcolm Wilson, et à plusieurs reprises avec Stig Blomqvist sur une version E). Enfin, la machine a fait carrière en rallycross avec plusieurs succès, notamment avec Martin Schanche (sur une version E là aussi).
Fiche auto :
Moteur : BDT 4 cylindres 1800cc
Aspiration : turbocompressé
Implantation : central-arrière
Puissance : de 420 à 450 chevaux à 7500 tr/min
Voiture : châssis tubulaire, en fibre de verre et plastique
Boite de vitesses : manuelle 5 vitesses
Transmission : intégrale 4 roues motrices
Poids : 1080 kg
Dimensions : 3,8 m(L) * 1,7 m (l)
Pneumatiques : Pirelli
Liens/sources:
Rallyes Magazine, Hors-Série Les légendes du Groupe-B, 2013
Magnifique voiture ! Je lui imaginais un palmarès bien plus fourni en mondial... à ce titre elle mérite sa place sur ce site malgré les nombreux succès nationaux.
Et comme d'habitude, bravo pour la recherche documentaire !