Une GT1-prototype avant l'heure ?
Fondée en 1972 par Shin Kato, lui-même ingénieur chez Toyota, Sigma Automobile est un préparateur nippon et producteur de diverses pièces destinées aux machines évoluant en sport-auto. Dans le même temps, la jeune compagnie s’engage dans la compétition avec ses propres machines dans le championnat local réservés aux sports-proto, le Fuji Champion Series. Très vite, Sigma va grimper d’étape en étape au point de participer aux 24 heures du Mans en 1973 avec sa MC73 à moteur rotatif venant de chez Mazda.
Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, la machine a le mérite de ne pas être ridicule face à la concurrence. Cela va continuer jusqu’en 1975, année où le préparateur basé à Aichi utilisera un bloc Toyota. C’est le début d’une longue histoire entre ces deux entités…
Après ceci, la compagnie, qui se nomme désormais SARD (pour Sigma Advanced Racing Development), participe uniquement au championnat local de tourisme et de sports-protos durant les années 1980. C’est à cette même époque que celle-ci devient petit à petit un des bras armés de Toyota dans cette discipline.
En 1992, SARD revient au Mans pour la première fois depuis plus de 15 ans. Une Toyota 92CV est engagée et termine 9e de l’épreuve. En 1994, elle représente en quelque sorte le constructeur nippon en exploitant ces bons vieux protos Groupe-C à moteur turbo (mais modifiée et nommée 94CV). Elle aurait pu, voire du, remporter la classique mancelle cette-année là sans un souci de boite de vitesses à une heure et demi avant l’arrivée (elle finira néanmoins second derrière la Dauer 962)…
Après ceci, les Groupe-C sont définitivement mortes et enterrées. Pour Toyota, on envisage toujours de continuer à participer aux 24h du Mans, mais cette fois, le constructeur va s’engager dans la florissante catégorie des GT. D’ailleurs à la fin de l’année 1994, cette dernière a conçu une Supra engagée et aidé par SARD et fera son apparition dans le championnat nippon réservée à ce type de voitures, le JGTC, ou Super-GT aujourd’hui.
Pour 1995, le JGTC est toujours de mise, mais Toyota compte bien s’engager aux 24h du Mans avec ce modèle. La fameuse classe des GT1 est visée, mais la Supra est quelque peu modifiée afin de la rendre compétitive sur le circuit de la Sarthe. Tout le travail était partagée entre Toyota (via TRD) etSRD.
Dans le même temps, le préparateur toujours proche de Toyota va tout bonnement concevoir sa propre machine toute seule, rien que ça ! Bien que Toyota soutienne un peu cette initiative, tout ceci restera à la charge de SARD, les moyens seront donc limités…
Les travaux ont commencé en cours d’année 1994, la future voiture qui sera répondra à la réglementation de la classe GT1, l’ultime catégorie des GT, sera basée sur une Toyota. Jusqu’à la, rien de surprenant, sauf que ce ne sera la Supra qui est choisie. Non, c’est une autre voiture, un peu plus modeste mais tout aussi intéressante.
La deuxième génération de la MR2 (code SW20) a conquis pas mal d’amateurs avec ses performances en sensible hausse par rapport à la première génération, à son look de mini-Ferrari ou encore de ses multiples apparitions dans les jeux-vidéos comme Gran Turismo par exemple. Pour SARD, on va effectuer pas mal de modifications, à commencer par l’allonger de 40cm de longueur et de l’abaisser un peu. Un aileron arrière et pas mal d’ajouts aéros font que la voiture s’élargit dans le même temps. Enfin, plusieurs pièces comme la suspension proviennent des protos Toyota du Groupe-C. Seul le châssis est vraiment propre à la MR2.
Au final, on a quelque chose d’original et qui n’a pratiquement rien à voir avec une MR2 de série vue de l’extérieur. De là à dire qu’il s’agit d’une GT-Prototype, il y’a encore un petit écart…Disons simplement que celle qui nomme désormais MC8-R se rapproche plus d’une Silhouette qu’autre chose. Une GT1 radicale en sorte…
Pour le moteur, celui-ci est toujours installé en position central-arrière comme sur la MR2 de base. Toutefois, ce ne sont pas les 4-cylindres qui propulsent la version de série qui fera tourner la MC8-R, encore moins un swap avec les blocs venant de la Supra ou encore du 4-cylindres 3S-GT qui propulsait pas mal de Toyota en compétition (du rallye en passant par l’IMSA notamment). Non, on va utiliser le V8 4 litres déjà aperçu sur les modèles Lexus ou sur les Toyota haut de gamme. Bien sûr, le moulin sera modifié pour l’adapter en compétition. On ajoute deux turbos KKK et Il crache désormais plus de 580 chevaux. Une boite de vitesses à 6 rapports provenant de chez Hewland a été intégrée. Enfin, la machine est équipée de pneus Dunlop. Une seule MC8-R de compétition est construite.
Tout ceci est bien sympa, d’autant que le travail de SARD est plutôt joliment réalisé avec pas trop d’argent et avec de la débrouille. Reste à voir comment la MC8-R se comportera sur la piste face aux autres GT1 et à la Supra GT-LM. On connait déjà son handicap principal : le poids, 1273 kilos ! C’est 100 de plus que la Mclaren F1 GTR, la Ferrari F40 et 200 de plus qu’une Venturi 600 LM et que la NSX GT1…
Il était prévu de la faire débuter en compétition à la fin de l’année 1994, mais le timing était trop serré et tout ceci est reporté à 1995. SARD a d’ailleurs été invitée pour participer à la prochaine édition des 24h du Mans en juin. Parallèlement à ceci, SARD se voit confier par Toyota une Supra GT-LM et cerise sur le marteau, bénéficiant du statut « d’équipe d’usine » (merci le constructeur nippon), l’équipe SARD est dispensée de la séance de préqualifications pour la classique mancelle ! C’est d’ailleurs la seule course de prévue en ce qui concerne le programme de la MC8-R cette année, peut-être que d’autres épreuves seront ajoutées au calendrier si les performances de la voiture et le budget suivent…Pour l’heure priorité surtout au JGTC où SARD est engagée.
En vue de préparer la fameuse épreuve d’endurance, la MC8-R st longuement testée dans quelques tracés au Japon ainsi qu’au Castellet.
Les 24h du Mans arrivent enfin, SARD engage deux pilotes d’expérience en la personne d’Alain Ferté et de Kenny Acheson. Enfin, Tomiko Yoshikawa sera la troisième pilote de l’équipage, elle a déjà participé à trois reprises à cette épreuve.
Du coté des autres voitures en catégorie GT1 et en dehors de la Supra, il faudra compter sur les Mclaren F1 GTR, les Ferrari F40, la Venturi 600-LM, une Lister Storm ou encore deux Jaguar XJ220. Chez les rivaux nippons également, on s’invite à la fête : Nissan engage deux Skyline GTR-LM et deux Honda NSX GT1. 27 voitures seront au départ dans cette catégorie.
Les premiers essais montrent que la MC8-R est l’une des moins performantes parmi les autres GT1 et devance à peine les voitures de la catégorie GT2. Quelques soucis de fiabilité ont été rencontrés durant ces séances. Au final, la voiture n’est qu’avant-dernière de sa classe à l’issue des qualifications (et 32e au général sur 48), en 4min11s et à 16 secondes des Ferrari F40, les plus rapides en GT1. Notons également que la MC8-R se place juste derrière la Supra et qu’elle devance une Nissan Skyline, ce qui est une maigre consolation. Notons également que Tomiko Yoshikawa a effectué un temps modeste (en plus de 5 minutes, très certainement suite à un souci mécanique et/ou du fait qu’elle n’a que peu roulé) et ne pourra participer à la course. Ferté et Acheson devront faire équipe à deux…
Justement, l’épreuve des 24 heures sera très brève pour la MC8-R de SARD : souci d'embrayage dès le départ...et qui grillera après 14 tours (soit à peine après avoir entamé la première heure de course). Au moins, la Supra a vu l’arrivée au terme de ces 24 heures (certes loin derrière), ce qui est une maigre satisfaction pour SARD.
Par la suite, la machine fera son retour fin-aout dans le championnat BPR (la série principale accueillant les GT, futur FIA GT) pour les 1000km de Suzuka. Cette épreuve mélangeant les GT1/GT2 courant habituellement dans le championnat ainsi que quelques machines locales (comme la Skyline) montre que la SARD tire toujours la langue face à ses concurrentes dans sa catégorie. Toujours avec Ferté et Acheson au volant, cette-fois accompagnés de Jeff Krosnoff (qui pilote pour SARD en JGTC et qui a participé au Mans avec la Supra) trustent la dernière position sur la grille parmi les GT1. La course sera difficile avec plusieurs soucis mécaniques, mais la voiture verra le drapeau à damiers à une anecdotique 26e et dernière place au général.
Après ceci, la MC8-R est profondément modifiée pour ne pas être larguée en 1996. Le moins que l’on puisse dire, c’est que SARD a fait du sacré travail durant l’hiver, toujours avec des moyens et des ressources assez limitées (plus un certain manque de temps) : poids en baisse de plus de 200 kilos ! (1060 maintenant), nouvelle boite de vitesses provenant de chez March avec 5 rapports, quelques petites retouches aéros, transmission fiabilisée et allégée…seul le moteur n’a pas fait l’objet, semble-t-il, de modifications. Autre élément non-négligeable : SARD reçoit le soutien de Menicon, fabricant de lentilles optiques, pour ce programme. Verra t-on cette MC8-R à plusieurs épreuves cette année-là ?
La première apparition de la MC8-R en 1996 se passe fin-avril lors des préqualifications des 24h du Mans. Alain Ferté aura la charge de qualifier la machine pour la grande épreuve Sarthoise, à noter également qu’il pilotera également la Supra GT-LM pendant cette séance.
Malgré les progrès de la MC8-R, Ferté reste en retrait face à la majorité des GT1 (ca reste mieux que certaines Porsche 911 GT2 Evo). C’est que la concurrence et les voitures ont progressé également. Les Mclaren, Ferrari sont définitivement hors de portée, d’autant qu’une nouvelle GT1 va vite devancer tout le monde : la Porsche 911 GT1, qui n’a de GT que le nom, ou presque. Point positif pour SARD : leurs voitures pourront participer aux 24 heures, au détriment de quelques machines exotiques comme la Renault Spider, une Bugatti EB110 ou encore la Callaway C7-R.
Pour l’épreuve, l’équipe Menicon-SARD choisit deux solides pilotes en la personne de Mauro Martini (sur la Supra l’an passé), Pascal Fabre afin d’épauler Alain Ferté. Avec un chrono à peine meilleur que l’année précédente en qualifs’, la MR2 sous hormones est 39e sur la grille, derrière deux voitures de la catégorie GT2 ! (une 911 GT2 classique et la Callaway Corvette de l’équipe Agusta). En fait ce sont les deux voitures engagées par SARD qui tirent la langue face à la concurrence. A titre de comparaison, la Porsche 911 GT1 de Yannick Dalmas, meilleure représentante de la catégorie, est plus de 20 secondes plus rapides que la SARD (et second sur la grille !).
Les 24 heures seront tout aussi difficiles pour le trio franco-italien. La MC8-R stagne dans le peloton jusqu’à l’entame de la huitième heure de course où les soucis apparaissent (moteur, transmission…). La voiture réussira tout de même à atteindre l’arrivée à la 24e place au général (et avant-dernière position), contrairement à la Supra qui est sorti de la piste durant la matinée.
La MC8-R reprendra ensuite du service plusieurs semaines plus-tard pour les 1000km de Suzuka, toujours dans le cadre du championnat BPR. Ferté et Fabre seront accompagnés de Naoki Nagasaka, double-vainqueur du championnat nippon de tourisme et animateur à l’époque du championnat de sport-protos dans le pays. Contrairement à l’an passé, la voiture ne verra pas l’arrivée après six petits boucles parcourus, moteur cassé…
Alors que la MC8-R ne fait pas le poids face à ses rivales en deux saisons, SARD continue toujours de développer la machine et de poursuivre le programme pour 1997. Les changements seront radicaux et le préparateur a fait du joli boulot, d’autant plus que Toyota (qui prépare une nouvelle GT1 avec l’implication totale du constructeur via Toyota Team Europe) n’est plus du tout impliqué dans l’affaire.
Comparé à la version précédente, la MC8-R est désormais méconnaissable et ne ressemble plus du tout avec une MR2 normale (déjà que c’était délicat à la reconnaitre). En dehors de son look radical, son aéro profondément remodelé et de son arrière façon Mclaren F1 GTR ou Ferrari (au choix), la machine retrouve la boite 6-vitesses de chez Hewland, le poids est d’une tonne tout rond et le V8 biturbo crache désormais 630 chevaux, rien que ça !
Un changement radical, des performances potentiellement radicales également. Et on va voir comment cette MC8-R « version 2 » se débrouillera aux essais de préqualification des 24 heures du Mans, sa première sortie en 1997. Pour la première fois chez SARD, il y’aura deux MC8-R engagées pour cette séance. Jetons un œil à tout ceci :
La numéro 34, qui est toujours sponsorisée par Menicon, est pilotée par l’ancien pilote de F1, Olivier Grouillard. Contrairement aux deux éditions précédentes, la voiture n’est pas chaussée de pneus Dunlop, mais des Yokohama.
La 35 est intéressante, car si elle est engagée sous la bannière du Team Menicon-SARD, la livrée est différente et surtout, est en réalité suivie et exploitée majoritairement ( ?) par la Fillière Elf, organisation qui soutient des jeunes pilotes tricolores en monoplace et dont la structure est déjà présente au Mans dans la catégorie des prototypes via Henri Pescarolo. Contrairement à la voiture-sœur, celle-ci est équipée de pneus Michelin. Les pilotes sont Cathy Muller (soeur d’Yvan, et maman de Yann Ehrlacher), Alexandre Debanne (le même qui animait l’émission Vidéo Gag sur TF1 à l’époque) et le futur pilote d’Indycar (et membre de la Fillière à cette période) Oriol Servia. Toutefois, aucun des trois ne prendront le volant et c’est Olivier Grouillard, une fois encore, qui sera l’unique pilote durant ces préqualifs. Rappelons qu’il est possible de piloter deux voitures différentes durant ces séances, tant qu’elles sont engagées par la même équipe…
Les MC8-R sont bien plus performantes que lors des deux années précédentes, améliorant leur temps au tour de plus de quinze secondes. Mais ca reste encore insuffisant comparé à la majorité des autres GT1. Le niveau et la concurrence est devenue encore plus féroce qu’en 1996 : Porsche a amélioré sa 911 GT1, l’ancienne version est désormais à des équipes privées. Mclaren allonge sa F1 GTR, Nissan engage trois R390 qui sont autrement plus performantes que les Skyline. Panoz et Lotus débarquent également dans la partie…
Malgré tous ses efforts, Grouillard ne réussira pas à préqualifier les deux SARD MC8-R malgré des temps pas ridicules (à près de dix secondes de la Nissan R390 de Martin Brundle, auteur du meilleur temps en GT1 et absolu lors de cette préqualif’). Dommage ! De toutes manières, les machines roulaient avec une pression de turbo excessive aux yeux de l’ACO. Elles auraient été tôt ou tard, été déclassées.
On reverra les SARD aux 1000km de Suzuka, cette-fois manche de la FIA-GT (qui remplace le BPR justement). Une est aux couleurs Menicon avec les frères Masahiki et Masami Kageyama accompagnés de Tetsuya Tanaka (des figures connues en Super-GT). La seconde est toujours exploitée par SARD, mais elle est aux couleurs du studio IDC Otsuka Kagu. Les pilotes sont Tatsuya Tanigawa, Yuji Tachikawa et Yasutaka Hinoi.
Trustant les dernières places sur la grille dans la catégorie GT1, les deux MC8-R vont se retirer tôt dans la course. Fin de l’histoire et SARD se concentrera exclusivement sur la préparation de Toyota ou de sa structure en Super-GT,.
Originale, la MC8-R aurait réellement mérité d’être davantage développée avec plus de moyens/ressources, meme si elle était déjà un peu obsolète à partir de 1996 en dépit de ses faux-airs de GT-Silhouette (ou de GT-Prototype, ce que la 911 GT1 a fait). Et si Toyota avait vraiment soutenu le programme de SARD au lieu de développer la Supra GT-LM pour le Mans ?
Fiche technique :
Moteur : V8 biturbo de 3968cc
Aspiration : turbocompressé
Implantation : central-arrière
Puissance : 580 chevaux en 1995 et 1996. Environ 630 ch en 1997
Voiture : basée la seconde génération de la Toyota MR2, châssis monocoque en acier.
Suspensions : en partie reprises sur les prototypes Groupe-C de chez Toyota
Boite de vitesses : 6 vitesses d’origine Hewland (1995 et 1997), 5 vitesses March (1996)
Transmission : propulsion
Poids : 1273 kg en 1995, 1060 en 1996 et 1000kg en 1997
Dimensions : 4,5m (L) x 1,9m (l)
Liens/sources:
K.N
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